De Sophocle, comme de tant d'autres, il reste surtout de la poussière, des cendres, des souvenirs, des notes d'analyse et, heureusement, une poignée de pièces. Huit en l'occurence, donc Oedipe Roi est la pièce maitresse. Et dans mon élan antique, j'avais envie de vous en parler.
Sophocle, c'est le petit génie de la bande ; aux Oscars de l'époque, dans tous les grands festivals dionysiaques tragiques, c'est la star, le mec qui a éclipsé Eschyle dès sa première pièce. Pourtant, Sophocle n'est pas très rebelle, dans le style évidemment, même si en lisant la souffrance des traducteurs à rendre la volonté originale, on se sent peu à même d'en juger vraiment, mais pas dans les faits. En effet, chez Sophocle, les Dieux sont grands et puissants, ils ont raison et ne manquent pas de le faire à savoir, ils sont impitoyables, ne laissent rien ni personne leur échapper, les héros payent malgré leur puissance, leur ruse ou leur bonté. Sophocle, c'est même un peu conservateur, d'ailleurs, plus quand il sera vieux, ça sera un bon vieux politicien, conseiller "stratégies et finances" d'une Athènes en pleine gloire.
Tout ça ne nous donne pas vraiment envie, et pourtant, encore un pourtant, Oedipe Roi - Ajax, Antigone ou Electre dans une moindre mesure - est une pièce merveilleuse et magnifique, il y a dans les dialogues, dans la mise en scène, une beauté terrible à voir ces héros qu'on sait depuis la première ligne condamnés à lutter avec une humanité désabusée et inattendue d'où se dégage comme une fumée toxique un désespoir latent contre leurs implacables destins. C'est la recette parfaite d'Ajax, d'Antigone et d'Electre : perdre les larmes à la main. Lutter, c'est pleurer aussi. C'est ça le côté rock'n'roll de Sophocle, cette touche de tension nerveuse dans une ambiance de suicide.
(Mention spéciale d'ailleurs aux scènes de morts toujours très cool, et aux apparitions grandioses de héros inattendus ; je vous raconte pas ma surprise au moment où j'ai vu Heraklès descendre d'une montagne parce que c'est pas dans Oedipe Roi.)
Et pas d'Oedipe Roi ? Si, bien sûr, mais dans Oedipe Roi il y a plus ! Il y a encore mieux ! Il y a une enquête ! Une véritable enquête, avec des recherches, des témoignages ; évidemment, comme d'habitude, on sait qu'Oedipe sera condamné - tout le monde, hélas, connait la fin de l'histoire - mais quel plaisir délicieux - délicieusement pervers - de le voir se débattre à la recherche du fin mot de l'histoire.
(Comme on a de la chance, on peut même lire, toujours de Sophocle, la suite, Oedipe à Colonne, l'arrivée du vieil homme sur son lieu de mort vers lequel les dieux l'ont finalement guidé. Je regrette, pour conclure, de ne pas avoir mon exemplaire pour parsemer de citations cette critique, je l'ai lu et rendu si vite qu'il n'est pas passé par mes "jolis bouts".)