Michelle est une femme qui a réussit. Elle est indépendante, on la devine séduisante et sûre d'elle. Elle sait ce qu'elle veut et ne veut pas. On ressent chez elle une froideur, un détachement. On comprend rapidement que cette froideur provient d'une histoire personnelle tragique, liée à son père, dans sa jeunesse. Cette froideur qui l'a poussé à avoir mis son mari à la porte pour jouir de la solitude, qui lui fait affirmer à son fils l'épreuve qu'a représenté le fait de le porter en elle, qui lui permet de se protéger contre son passé.
Au début du roman, elle vient de se faire violer. Mais n'en fait pas un drame. Tout juste s'équipe-t-elle de gaz lacrymo et ajuste-t-elle son maquillage pour masquer les coups qu'elle a reçu. Elle refuse d'être une victime, elle refuse de s'apitoyer sur elle-même. Elle continue à vivre.
Au cours du roman, on se rend compte que cette force qu'elle dégage est striée de fêlures, que comme tout le monde, elle a ses béquilles (sa mère, son amie, son ex-mari), sans lesquelles son monde menace de s'effondrer. Lorsque sa mère disparaît, que son ex-mari échappe à son contrôle, que son amitié est menacée par une aventure mal venue, elle se montre vulnérable, enfin, mais juste à nous, lecteur, et pas à son entourage. Pour lequel elle reste forte, de cette force qui la pousse à faire face et repousser son agresseur, puis à céder au fantasme qu'il représente, lorsque celui-ci se trouve démasqué. Comme pour mieux se réapproprier son désir, reprendre le pouvoir.
Comme toujours, le roman de Philippe Djian se lit avec une fluidité admirable. Sa lecture fait penser à quelques écrivains américains comme Paul Auster ou Raymond Chandler, dans leur manière de tenir le lecteur, à coup de dialogues bien ciselés, de description précise et simples, d'ironie et d'humour froid. Ses héros ne sont pas particulièrement sympathiques, et pourtant, on s'y attache, comme à ce personnage de Michelle.
Pour le reste, je me suis demandé comment un homme pouvait imaginer ce que ressent une femme lorsqu'elle se fait violer, se mettre à sa place. Je me suis demandé s'il était légitime dans ce point de vue. Il prend un risque en tous les cas, celui de se mettre dans la position du macho qui pense que les femmes ont le fantasme du viol ancré en elles (un début de polémique un peu absurde que l'on a vu au sujet du Jeune et Jolie de François Ozon).
En suivant le fil de cette réflexion, je me suis demandé s'il existe par essence une différence de ressenti entre hommes et femmes victimes d'agressions sexuelles. Je me suis demandé si cette histoire de femme reprenant le contrôle de son corps par le fantasme pouvait avoir un sens. Et puis j'en ai conclu qu'un roman n'avait pas pour vocation de faire une représentation atavique du ressenti des femmes, que cette représentation n'existe sans doute pas. Que chaque ressenti est différent. Partant de là, même si le ressenti de Michelle est différent de celui de la plupart des personnes victimes de viols, cela ne le rend pas moins prenant, moins possible. Et que c'est bien de rôle de l'écrivain, de raconter des histoires particulières, de se mettre en position d'imaginer ce qu'il ne vit pas, qu'il ne ressent pas, ce qu'il ne perçoit pas...