Oublier Camus est un déboulonnage en règle, et en 140 pages, de la statue d'Albert Camus, notre écrivain-intellectuel national, humaniste irréprochable : résistant, militant anti-colonial, anti-communiste, contre la peine de mort... Camus est l'intellectuel-joker dans un débat politique, inattaquable car finalement assez peu connu. Je n'ai, à titre personnel, aucun souvenir de L'Étranger, étudié au lycée, à part l'incipit...
Olivier Gloag, universitaire américain spécialiste de littérature française, n'a pas nos pudeurs nationales. En lisant Camus dans le texte (et pas seulement La Peste et L'Étranger), en étudiant ses déclarations, en le replaçant dans le champ littéraire et intellectuel de son époque (notamment par rapport à Sartre), il rétablit quelques vérités : Camus était ontologiquement colonialiste - certes modéré, mais tout est relatif. Ses thuriféraires ont profité de son soutien au projet Blum-Viollette pour fabriquer de toutes pièces son anticolonialisme (le projet Blum-Viollette entendait accorder la citoyenneté à une extrême minorité de Musulmans, comme on disait à l'époque ; c'était autrement dit une toute petite concession pour protéger le système colonial, et en rien un début de décolonisation). Ce n'était pas non plus le plus résistant des intellectuels de l'époque - encore que, rare qualité que lui accorde l'auteur, Camus (comme Sartre) n'a pas publié dans La NRF du très collaborationniste Drieu La Rochelle...
Sa position sur la peine de mort est savoureuse : il est contre... avec des conditions. Camus est contre la violence. Bon. Dans le contexte de la guerre d'Algérie, la violence du FLN est donc condamnable. Camus est favorable à un statu quo, donc la colonie, seule option non-violente à ses yeux. Il n'est évidemment pas dérangé par la violence du système colonial lui-même, qui semble lui échapper...
Ce livre est un petit miracle. En 140 pages, Olivier Gloag analyse finement les détournements des prises de positions de Camus et ses renoncements. Je vous laisse découvrir par vous-même l'autre versant du livre : l'analyse littéraire de ses textes, portés aujourd'hui au pinnacle, toujours au service de ses idées, aussi nauséabondes soient-elles.
Nous aurions ici affaire à un roman où la peste serait une allégorie de l'occupation allemande de la France, donnant à ce conflit intra-européen une portée universelle. Je propose une lecture différente : la peste ce n'est pas l'Allemagne ou les Allemands, c'est la résistance du peuple algérien à l'occupation française - phénomène intermittent mais inéluctable, qui s'assimile à une maladie mortelle du point de vue des colons. (48)