Passion simple est un très court récit d’Annie Ernaux, nous autorisant à entrapercevoir un cœur agité, pris de passion pour un homme marié, dont on ne sait jamais vraiment si les sentiments sont réciproques.
Le plus important n’est d’ailleurs pas de savoir si cette flamme est mutuelle, si cette relation est morale, si elle en valait la peine ou si la narratrice aurait dû y mettre un terme ; mais bien ce que cette rencontre a fait naître chez Annie Ernaux, et qui n’appartient qu’à elle, et que seul le lecteur est autorisé à entrapercevoir.
Simone de Beauvoir disait, à propos de son amie Zaza dans Les mémoires d’une jeune fille rangée : « je savais qu’elle tenait à moi beaucoup moins que je ne tenais à elle ». Dans un certain sens, Passion simple m’a un peu rappelé cette affection fanatique que portait Beauvoir à Zaza, qui en retour n’en avait qu’une réticente à son égard (de ses propres mots). Dans les deux cas, j’ai été bouleversée par la réalisation du changement qu’opère en nous une rencontre, qu’elle soit amicale ou amoureuse.
Ce que j’ai trouvé intéressant dans Passion simple, c’est le contraste entre ce que cette liaison a détruit, et ce que cette liaison a apporté.
Le superbe incipit : « À partir du mois de septembre l'année dernière, je n'ai plus rien fait d'autre qu'attendre un homme : qu'il me téléphone et qu'il vienne chez moi. » nous fait prendre la mesure de tout l’excès que cette passion entraîne, jusqu’à éclipser l’intégralité des autres aspects de la vie. Plus rien n’a de saveur que l’être aimé, pas même ce qui pouvait autrefois nous exalter voire nous passionner. Lire ne devient plus pour elle qu’un « moyen d’user le temps entre deux rencontres ».
Alors que tous les signaux sont au rouge, alors que la narratrice semble avoir été coupée du monde pendant l’année qu’a duré cette relation, alors qu’à la lecture, il nous semble qu’il y a plus de dommages que de bénéfices, de souffrance que de joie : « j’étais entrée dans un état où même la réalité de sa voix n’arrivait pas à me rendre heureuse. Tout était manque sans fin, sauf le moment où nous étions ensemble à faire l’amour. Et encore, j’avais la hantise du moment qui suivrait, où il serait reparti. Je vivais le plaisir comme une future douleur » ; Annie Ernaux nous livre tout ce pourquoi cette relation a été un don : « grâce à lui, je me suis approchée de la limite qui me sépare de l'autre, au point d'imaginer parfois la franchir », « j'ai découvert de quoi on peut être capable, autant dire de tout », « à son insu, il m'a reliée davantage au monde ».