Avec ce fameux style plat, matter of fact, et un ton passablement cru, Annie Ernaux, devenue Prix Nobel de littérature trente ans plus tard, signe le récit d'une aliénation amoureuse.
Le personnage principal, non nommé, mais que l'on imagine être l'auteur, est l'amante d'un diplomate russe, désigné quant lui par son initiale, A.
Je vois qu'il y a un certain nombre de critiques et ne prétends pas réinventer la roue.
Annie Ernaux non plus, dans ce bref récit où elle décrit, en somme, le besoin impérieux de le voir, ce qu'elle fait dans l'attente de leurs rendez-vous, et le dégoût qui la saisit des choses ordinaires de sa vie, de tout ce qui ne renvoie pas à cette passion dévorante.
C'est clinique, une sorte de dissection de l'aliénation du personnage principal ; celle-ci semble saisie par la mâchoires ou les pattes d'un insecte géant, la passion, et le récit relève de l'entomologie amoureuse.
L'intérêt à mes yeux de ce livre, par ailleurs peu intéressant dans son propos lui-même, tient à la constante interrogation du sens de l'écriture, c'est-à-dire de ce que "permet" un récit de soi, de ses insuffisances, de la volonté après-coup de rassembler dans la trame même du récit des réflexions, nombreuses, sur le pouvoir de la création littéraire : pouvoir d'abord pour soi, puisqu'il s'agira en définitive de se déprendre de cette passion, lorsqu'elle sera achevée ; pouvoir pour le lecteur lorsque ces pages, fussent-elles crues, seront publiées.
Ces multiples notations relative à l'écriture littéraire, ses apports, ses limites, font que nous n'avons pas seulement affaire à une anecdote amoureuse de plus. On avait commencé alors à parler d'autofiction, me semble-t-il ; le passage au scalpel de l'écriture d'une passion "simple" — autrement dit, peut-être, de ce qui n'est rien de plus qu'un amour relevant, de façon apparemment contingente, du domaine de la passion — confère à l'ouvrage d'Annie Ernaux sa tonalité singulière : plus que d'autofiction, on pourrait parler ici de reportage de soi.