Quand le capitalisme n’a pas d’âme… et le récit pas assez de souffle

Ce livre avait tout pour me plaire. Une enquête sur les agissements du groupe Lafarge en Syrie, sur ses connivences et son financement de Daesh, sur son abandon complet de ses employés en temps de crise, bref une chronique judiciaire de ce que le capitalisme décomplexé peut engendrer de pire. Dès le début, l’opposition est très bien amenée entre les hommes puissants et intouchables de la direction du groupe Lafarge entourés de leur armée d’avocats, et des femmes, beaucoup moins nombreuses, avec des moyens immensément plus modestes, mais armés d’une passion, d’une force et d’un courage sans commune mesure avec leurs adversaires.


Le récit est complet, riche, très riche. Trop riche ? C’est peut être ici sa limite. La lecture du livre est laborieuse, on progresse difficilement entre la multiplication des noms propres, des faits et des termes juridiques. À cela s’ajoutant de très nombreuses citations, nécessaires, mais qui viennent encore un peu plus freiner la lecture.


Le récit est affaibli par l'absence d’une trame claire. Si les allers retours entre les faits en Syrie, les actions des dirigeants de Lafarge et les investigations des juristes permettent un regard englobant précieux, le livre souffre d’une chronologie à laquelle on peine à se rattacher.


Enfin, pour un livre d’enquête, on ne peut que déplorer un réel manque de rythme, de frénésie dans le récit nous donnant absolument envie de le terminer. Car l’histoire, les faits dans leurs grandes lignes sont connus, soit avant, soit sont compris tôt dans la lecture. Et si le livre apporte de nombreuses précisions très bienvenues, affinant notre compréhension, il n’y a pas de réelle progression dans l’histoire. On aimerait un second souffle, une tension, une inconnue qui rende nécessaire de poursuivre sa lecture. Très riche, ce livre perd en qualité narrative et littéraire pure ce qu’il gagne en précision et en travail de recherche.


Mais n’est-ce pas dû à l’affaire elle-même ?Le sujet est technique, tentaculaire, volontairement embrouillé par des stratégies juridiques qui visent à noyer la responsabilité dans un océan de procédures et d’arguments dilatoires. Le travail des avocats de Lafarge semble conçu pour rendre toute mise en cause ardue, transformant cette enquête en un labyrinthe où il est difficile de suivre une ligne claire. Dans ce contexte, on comprend donc la difficulté et le travail immense demandé pour réaliser un livre fidèle, complet, cohérent et plaisant à lire. Est-ce le livre qui manque de souffle, ou l’affaire elle-même qui, par sa complexité et les stratégies dilatoires des avocats, rend un récit haletant presque impossible ? Finalement, la lecture reproduit presque l’expérience de ceux qui s’attaquent à ces multinationales : un combat laborieux, semé d’obstacles, où il faut s’accrocher pour démêler la vérité.


Elliot171312
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il y a 6 jours

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