Je prends la peine d'écrire cet avis car je suis tombé sur beaucoup trop de critiques qui indiquaient que ce roman n'était qu'une préquelle largement évitable de Vie et Destin, le mauvais volume, une perte de temps, voire une arnaque (je suis tombé sur une critique qui commençait carrément par "je me suis fait avoir")
Qu'est-ce que Pour une juste cause?
Comme chacun sait, c'est le premier volume d'un diptyque.
Nous pouvons nous poser la question de l'utilité d'un premier volume:
1- introduire le sujet
Ici, le sujet, c'est un échantillon de Russes pris dans la tourmente de l'offensive Allemande de l'été 42. Le sujet n'est pas la campagne militaire en elle-même, le sujet, c'est l'être humain pris dans la machine à broyer les vies qu'est la guerre. Toute la première moitié du livre, elle est loin, menaçante, perdue dans des chapitres dont l'action se déroule dans l'appartement familial des personnages principaux, dans les usines, dans la centrale électrique, dans l'hôpital, à l'orphelinat; on l'oublie parfois, mais elle se rapproche sans cesse et inexorablement, jusqu'à occuper la place centrale du récit.
2- poser une thèse (qui sera réfutée dans le dernier volume)
Cette thèse se résume en une ligne manichéenne : Le fascisme, c'est le mal, le communisme, c'est le bien. Non, c'est pas le bien, c'est l'idéal.
Tout au long du livre, on met en avant la perfection de la société communiste, le courage, l'abnégation et le génie du Citoyen Russe pétri de valeurs socialistes.
Cette emphase en a gêné plus d'un, semble-t-il. Je suis tombé sur des critiques qui s'étonnaient du manque de recul de Grossman, de l'oubli qu'il fait des purges staliniennes.
Alors, oui et non.
De prime abord, cette impression est justifiée, la Stalingrad d'avant guerre semble être la cité idéale du communisme triomphant, et tous les personnages semblent être heureux et épanouis.
Mais si on prend la peine de se pencher sur la situation de ces personnages, que voit-on ? Des classes aisées et instruites, des cadres communistes de la première heure, mis à l'écart par le pouvoir stalinien. On devine d'ailleurs les portraits de grands absents dont on ne parle pas et qu'on retrouvera (ou pas) dans le second volume.
"Pour une juste cause" est une première partie. Elle ne se suffit pas à elle-même. Elle est la thèse qui attend son antithèse. Elle est la fondation, l'âme structurelle du diptyque de Grossman. Et, à ce titre, elle est essentielle à la parfaite compréhension de cette oeuvre.
Mais, au delà de tout ça, c'est une oeuvre à part entière, un monument de la littérature, un témoignage frappant de l'époque. Les situations se succèdent sans temps mort, les personnages sont bien construits, les ressorts dramatiques sont percutants, et on tourne les pages sans le moindre effort.
Lisez "Pour une juste cause". Ne faites pas l'impasse sur ce livre.