Grince la chenille d'un char ennemi...
"Dans les instructions et les manuels, on n'apprend pas ce que ressent, pense, ni comment se comporte un homme couché face contre terre dans une tranchée tandis que huit pouces au-dessus de sa tête fragile saupoudrée de terre grince la chenille d'un char ennemi et que l'odeur chaude, huileuse, étouffante des gaz d'échappement pénètre dans ses narines, mêlée à de la sèche poussière terrestre."
Mais Grossman tente bien, avec Pour une juste cause, de raconter, au travers des vicissitudes de la famille d'Alexandra Chapochnikov, comment les vies se font et se défont lors de la bataille de Stalingrad.
Grands et humbles, officiers et civils, scientifiques, étudiants et paysans, russes et allemands : tous trouvent leurs âmes et leurs corps broyés par l'impressionnante tragédie, leurs pensées aspirées par le tourbillon des événements.
Un roman-fresque, composé en fait de chroniques publiées dans la presse et largement tailladées par la censure, où la critique en filigrane du régime soviétique vaudra à son auteur d'être décrit comme ennemi du peuple. Plus de mille pages noircies avec une plume trempée dans le lyrisme. Une poésie qui détonne d'autant plus avec l'horreur qui s'immisce partout : dans les tranchées et les datchas, sous les tentes, dans les appartements aux vitres explosées.
L'œuvre est magistrale, chaque chapitre susceptible de livrer une pépite de littérature et poussant inexorablement à la page suivante. Mais outre le style - qui n'a rien à envier aux plus grands auteurs russes, l'analyse psychologique des personnages s'habille de subtilité. Grossman répugne souvent à trancher et démontre au fil du roman toute l'ambivalence de l'être humain, ses doutes, ses actes manqués, ses décisions douloureuses.
L'homme n'est jamais ni totalement bon, ni totalement mauvais. Mais la guerre et la terreur le transcendent, parfois pour le meilleur, souvent pour le pire.
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