Propaganda pourrait être considéré comme un document historique : publié en 1928 par Edward Bernays, une des personnalités les plus influentes du XXe siècle américain, ce manifeste est une observation des origines du consumérisme et de l’élitisme moderne, et fournit les principes clés inventés au début des années 1900 pour diffuser des idées efficacement et « fabriquer le consentement » en démocratie.
Bernays (1891-1995) commence sa carrière dans la publicité, puis il collabore avec l’Etat Américain en 1917, au sein de la Commission Creel, pour embrigader les citoyens américains et les inciter à partir à la guerre (« I want YOU for US Army ! »). Il définit sa profession comme « conseiller en relations publiques », une sorte de consultant politique et commercial.
La propagande au sens bernaysien pourrait être définie comme l’ensemble des moyens de persuasion utilisés envers les masses pour diffuser des idées nouvelles, manipuler l’opinion publique et fabriquer le consentement. Ces moyens peuvent être des supports (radio, presse, TV), des personnes (leaders, autorités) ou des évènements (concours, exposition…). Elle peut être utilisé par les hommes politiques, les entreprises, les associations, les syndicats etc…
Cet ouvrage pousse à la réflexion sur des thèmes divers. Réflexions à propos de la propagande, de la société de consommation, de la légitimité des élites, de la psychologie humaine. Mais surtout, Propaganda incite à la remise en question de la démocratie contemporaine. Je m’explique.
Bernays se réclame héritier de la pensée de Gustave Lebon. Lebon pensait que les masses étaient incapables d’utiliser leur raison, et qu’elles n’étaient guidées que par leurs émotions et leur instinct (leur « ça » en psychanalyse) ; les élites devaient donc baser leur communication politique sur cet aspect. Bernays est donc une sorte d’aristocrate platonicien, il pense que seule une petite élite devrait gouverner. Mais sa particularité est qu’il profite du régime démocratique pour réaliser sa vision politique élitiste. La démocratie est un régime dans lequel on manipule l’opinion du peuple au lieu de le contraindre. Une dictature qui opprime le peuple risque de déclencher une insurrection ; dans une démocratie, le peuple n’a pas besoin de se révolter s’il est persuadé d’être à l’origine des décisions politiques. Dans un tel régime, c’est toujours l’élite qui contrôle le pays, mais cette fois en « fabriquant le consentement » du peuple via la propagande, car celui-ci est nécessaire au bon fonctionnement du régime. Ainsi, lorsque Woodrow Wilson comptait utiliser la force pour contraindre les citoyens américains à aller se battre contre les allemands en 1917, ses conseillers lui préconisèrent d’utiliser une méthode plus douce : c’est dans ce contexte que le « bourrage des crânes » et la diabolisation de l’ennemi sont nés. Par ailleurs, la vision de la démocratie de Bernays est en partie inspirée d’une conception freudienne de l’individu (Bernays est d’ailleurs le double-neveu de Freud). En effet, la propagande bernaysienne s’adresse aux émotions et aux instincts du peuple, à son « ça », autrement dit à son inconscient.
On notera que l’auteur défend très maladroitement son propos en faveur de la propagande « saine » et de la manipulation « bienveillante », on n’est pas tenté d’y adhérer une seconde mais plutôt de s’en inquiéter. Pourtant, force est de constater que cette conception d’un peuple vulgaire, instinctif, impulsif et antirationnel porte ses fruits dans la pratique. En effet, les méthodes utilisées par Bernays pour manipuler les masses fonctionnait parfaitement : les citoyens américains, initialement pacifiques, partirent à la guerre en 17 plein de rage envers l'ennemi, crée de toute pièce par la propagande (« Destroy this mad brute ! »). Dans ce contexte, comment accorder une légitimité à la démocratie, régime qui donne le pouvoir au peuple, lorsque ce dernier est incapable de gouverner rationnellement car aveuglés par ses désirs et ses passions, et est soumis inconsciemment à la manipulation perfide des élites ?
Quoi qu’il en soit, ce livre fait prendre conscience de l’importance de l’éducation populaire, de l’esprit critique et du rejet de l’ultraconsumérisme, qui sont les conditions indiscutables d’un régime démocratique sain.