Entendons-nous d'emblée : 'Qu'est-ce que la littérature?' est un échec. Non que l'essai soit mauvais en lui-même car il est même, et à bien des égards, fort intéressant. D'ailleurs nombre des réflexions développées tout au long de celui-ci seront ultérieurement reprises par la 'nouvelle critique'. Cette idée du pacte avec le lecteur, par exemple, ou cette merveilleuse idée qu'il n'y a d'Art véritable que libre et dégagé des contraintes de l'utile; Et puis cette chronologie sociologiesante de l'histoire des écrivains depuis la royauté jusqu'à l'avènement de la bourgeoisie, en plus d'être d'une ironie mordante, est d'une lucidité certaine. Il y'a des pages somptueuses aussi, au sujet de la seconde guerre et de l'engagement des écrivains durant l'occupation. On y parle le langage insoutenable de la torture, de l'absurde, du meurtre industriel et scientifique. Malgré le verbiage de Jean-sol, malgré la prolixité de sa prose, malgré le fouillis verbal, certaines pages sont d'une grande humanité. On sent affleurer la douleur de l'homme derrière la froideur de l'intellectuel. 'Qu'est-ce que la littérature?' n'en reste pas moins un échec. C'est que, malgré toutes ses qualités, l'essai n'en est pas un. 'Qu'est-ce que la littérature? ' n'est pas un essai, c'est un manifeste.
Manifeste de quoi ? me dira-t-on. Mais de Jean-sol bien entendu ! De quoi -qui- d'autre? L'essai est un pur produit de la pensée sartrienne, avec pour concepts centraux la liberté et l'engagement politique. De quoi s'agit-il, en somme? D'une conception de la littérature en tant que représentation dévoilante du monde donnant une perspective critique aux lecteurs sur la société dans laquelle ils vivent. De la littérature Sartrienne au réalisme socialiste, il n'y a qu'un pas, ainsi qu'en témoigne la longue analyse aboutissant à la conclusion de la nécessité d'un art de classe total. Exit le symbolisme, le romantisme, le classicisme, exit le surréalisme et le dadaïsme, et vive la révolution ! Pour accéder à la reconnaissance d'Artiste, il faudrait n'être pas aliéné. Il faudrait parler au nom de tous, par tous, pour tous, en la personne d'un seul -projet surhumain s'il en est-, et librement par dessus le marché ! Tout est là. La définition de la littérature par Jean-Sol est un long catalogue, parfois pertinent, souvent très mordant, toujours discriminant, de ce qui est littérature aliéné et de ce qui ne l'est pas -c'est à dire de ce qui est acceptable de ce qui ne l'est pas-. Mais qui est le juge, dans cette affaire? Jean-sol par-dessus le marché ! Malgré l'apparente objectivité du discours, servie par une analyse Sartrienne splendide de lucidité et de ratiocination dans le même temps, l'essai est un parti pris du début à la fin.
Mais enfin, me dira-t-on, quel est le problème? Jean-sol a bien le droit de s'exprimer tout de même! On ne pourra bientôt plus pisser tranquille non ? c'est entendu, point d'ostracisme pour avoir osé écrire. N'en demeure pas moins que le titre de l'essai annonçait une étude des formes littéraires, une contextualisation de leur genèse, une définition complexe et non exhaustive, bref, un semblant d'objectivité. Mais que nenni ! Il y a la bonne littérature, il y'a la mauvaise, il y a la littérature souhaitable, et celle qui ne l'est pas, l'aliénée, et celle qui est libre. En somme, Sartre se fait juge et parti des différentes formes littéraires dans leur évolution historique. Cela n'est rien, en soi. Après tout, n'en a-t-il pas le droit? Oui mais voilà: l'essai a pour sujet l'essence de la littérature, sa nature du moins, au pire l'étude de ses formes contextuelles, ce que la nouvelle critique a appelé la 'littérarité'. Or il n'y répond pas le moins du monde. Ce qui intéresse Jean-sol, c'est de produire une littérature de l'engagement, une littérature de l'action. De séparer l'ivraie du grain. S'il n'y a que ça, que n'a-t-il fait un manifeste? C'aurait eu de la gueule tout de même. " De la littérature : pour un art engagé ", ou bien encore " la rhétorique Jean-sol Partres : petit précis d'action littéraire", ou enfin " Manifeste pour une rhétorique de l'action". Non?
Et tout le reste, est lis tes ratures.