Léger folio, le recueil contient quatre nouvelles de Ryûnosuke Akutagawa, auteur japonais du début du XXème siècle, écrites entre 1915 et 1921 et qui réunies offrent
une fulgurance de l’esprit torturé et acerbe, naturalisme désabusé et humanisme désespéré,
sans illusion, de son auteur. Du simple échange de point de vue en quelques mots de Rashômon à l’affrontement sournois et silencieux, méprisant, de Gruau d’Ignames, en passant par le mystère installé patiemment dans Figures Infernales et le jeu des émotions vives de Dans le Fourré, l’auteur décrypte à nu les travers subjectifs du regard humain. Vient dire le fossé qui sépare les esprits dans les points de vue forgés ici ou là, portés de ci-delà, et rapportés ou tus sur le fil du récit.
L’auteur « devient donc en personne le théâtre de l’affrontement
dramatique entre antiquité et modernité, le point focal – et ce foyer
le consumera – de la rencontre de deux formes de culture antagonistes
entre lesquelles il ne veut pas devoir choisir mais dont la
coexistence suscite chez lui à la fois attachement et déchirement,
égarement et acharnement » écrit dans sa préface Jacques Dars.
Ryûnosuke Akutagawa dépose là le sien, de point de vue, déçu, morbide – obnubilé par le suicide déjà – sur les horizons peu glorieux d’une humanité qui hurle ses paradoxes. À cette époque où le Japon s’étire difficilement d’un passé glorieux et ancestral à un avenir ouvert sur le reste du monde, l’occident se déchire en Europe pour l’assassinat d’un duc et quelques ombres de plus selon où l’on se trouve. Rien qui ne justifie autre chose que ce pessimisme.
Rashômon ouvre le recueil.
Une courte nouvelle d’une dizaine de pages sombres où un homme dépossédé combat un moment la tentation de se départir des règles morales de la bienséance avant qu’une vieille femme décharnée lui montre le chemin égoïste de la survie. Expéditif, terrible.
Conte crépusculaire
à plus d’un titre d’une concision qui tranche sans fioriture dans les élans noirâtres de l’âme désespérée, Rashômon dépeint sans détour ce déclic fragile mais certain où l’homme acculé abandonne sciemment son humanité afin de survivre.
Figures Infernales : www.senscritique.com/livre/Figures_infernales/critique/146897970
Dans le Fourré : www.senscritique.com/livre/Dans_le_fourre/critique/146898032
Gruau d'Ignames : www.senscritique.com/livre/Gruau_d_ignames/critique/146897918
« Il arrive parfois qu’un homme consacre sa vie entière à un désir
qu’il ne pourra peut-être jamais réaliser. Celui qui se moque d’une
telle illusion ne connait rien à la vie. (…) La réalisation devenue si
aisée de son rêve de toujours ne rendait-elle pas dérisoire la
patience avec laquelle il l’avait attendue ? » dans Gruau d’Ignames.
Vacuité, innocence moquée pour sa fragilité face aux rouleaux oppresseurs des méchancetés dont l’homme se rend coupable : Ryûnosuke Akutagawa pose un regard sombre sur
nos humanités coupables
et, l’ancrant dans le conte, souligne l’essence qu’elle imprime dans nos comportements autant qu’au-delà, dans nos sociétés. Cette espèce d’impuissance purement humaine à vivre ensemble, à faire corps. Et jette ainsi très tôt à travers son œuvre toute la désespérance qui l’habite et le hantera longtemps, jusqu’à l’impossibilité de survivre à cette « vague inquiétude » ultime, terminale.