Barji Barjot

Ce roman de Barjavel tient sa promesse de précurseur de la science-fiction en plantant dans sa première partie le décor d’un monde accro à la technologie et aux bénéfices apparents qu’elle apporte à l’humanité. En 2052, la science a réglé les problèmes de la faim et de la maladie, chacun peut se déplacer dans le monde entier en quelques heures, les trains relient Paris et Lyon en 5 minutes. Pourtant, sous cette apparente prospérité, des détails disséminés tempèrent cette impression. Les ouvriers vivent correctement mais meurent à 50 ans accablés par le travail à l’usine, les artistes, notamment les peintres sont encadrés, labellisés par l’Etat et rabaissés à des simples vendeurs de tableaux ; on apprend aussi que les villes ont complètement envahi le territoire, seuls subsistent çà et là quelques agriculteurs acharnés qui ne se résignent par à la culture en usine qui permet la fabrication de fruits et légumes sans eau, ni terre et surtout sans effort humain.

On a affaire ici à un soft power quasi totalitaire que personne ne semble remettre en question. En ce sens, le roman est très actuel et s’interroge sur des thématiques qui nous sont contemporaines. Barjavel esquisse dès 1943 les prémices d’une société dopée à la consommation, amorphe physiquement et intellectuellement. Car c’est bien là la thèse du roman, l’homme devenu fainéant ne saura pas s’adapter quand l’apocalypse surviendra : l’électricité, du jour au lendemain, disparait.

Le seul qui semble s’être préparé à cette éventualité est le héros François Deschamps, il se réjouit presque de ce retournement de paradigme, fier de pouvoir mettre à profit sa force et son habilité paysannes pour mener un groupe de proches hors de Paris vers les terres demeurées rustiques de la Provence.

C’est pourtant, à partir de cette aventure que le roman déçoit. D’un point de vue narratif, Barjavel s’échine à peindre les pires atrocités pour ses personnages ; pillages, meurtres, incendies, choléra, rien ne leur est épargné et des personnages introduits à la va-vite meurent dans les pires circonstances mais avec indifférence pour le lecteur. Seul surnage dans ces émois François Deschamps. Il parvient à mener sa troupe en lieu sûr grâce à son attitude martiale et intransigeante aussi bien pour ses ennemis que pour ses proches.

Le roman s’achève alors sur un bond de 100 ans en avant. L’humanité tente de se reconstruire autour justement de François devenu un patriarche vénéré qui règne sur la moitié des restes de la France. Cette nouvelle société qui s’oppose à la première n’en reste pas moins aussi nauséabonde et dérangeante, cette fois car elle semble défendue par l’auteur. Les hommes suivent maintenant les préceptes de François qui préconise un retour à l’âge de pierre. Regroupés autour des valeurs du travail manuel et de la survie démographique de l’espèce, toute réflexion intellectuelle doit être étouffée, les livres brûlés et le passé oublié. François et ses adeptes iront même jusqu’au meurtre lorsqu’un homme se présentera dans leur village avec un projet de machine à vapeur.

Malheureusement, c’est vraiment cette dernière partie qui marque la lecture. Barjavel semble défendre un retour aux valeurs fondamentales et nier les apports du progrès scientifique et technologique. Il condamne la substance même du progrès au lieu de s’interroger sur les solutions pour s’y adapter et en tirer des enseignements. Le tout donne finalement une impression de pamphlet facile contre la technologie.