Ce petit texte est le meilleur du genre.
En tant qu'interne, ce texte m'a complètement ébahi. Les consultations, les opérations, les doutes, l'adrénaline décrits dans les Récits d'un Jeune Médecin sont parfaitement réalistes et font écho aux sensations ressenties par tous les étudiants en médecine, quelque soit leur spécialité future. Ils s'adaptent aussi aux métiers de santé en général.
Le paysage littéraire français sur la réalité des soignants est assez riche :
-en témoignages de jeunes médecins-auteurs (Jaddo, Beaulieu) : dont certains sont superficiels, ne résonnent pas avec l'expérience vécue, empreints d'une certaine vanité que l'on pourrait résumer ainsi : "se présenter comme plus humain, plus dignes d'admiration que ses pairs", "Critiquer ses collègues soignants pour s'approprier une valeur globale, plus proche des patients" etc... On peut prendre pour exemple le livre de Jaddo, qui écrit en parlant du chirurgien de garde
> "effroyable, effroyable connard"
,manquant ainsi cruellement à la déontologie fondamentale.
Elle aime également user d'une rhétorique facile : "Personne ne connaissait le nom de la patiente parce que personne n'a pensé à lui demander, pas comme moi qui, profondément humaniste, ait eu la décence de l'interroger". Ce genre d'anecdotes spectaculaires, et bien sûr non vérifiables , assurent l'adhésion immédiate du lecteur non averti ou qui ne connaît pas le milieu hospitalier. En jetant l'opprobre sur ses pairs, on bénéficie d'une gloriole temporaire et teintée de malhonnêteté par effet de contraste. C'est une illusion facile et lâche.
Au total, ces témoignages sont bien éloignés de la réalité des cabinets et de l'hôpital, ou du moins la présente sous un jour favorable à l'auteur.
-en témoignages de "médecins-télé" comme le lascif Saldmann (Qui a publié "votre bible-santé", on ne fait pas plus modeste...), complètement déconnectés de la réalité des soignants et qui utilisent leur notoriété pour vendre à prix d'or des ouvrages de "développement personnel santé".
-en témoignages plus authentiques et sainement engagés comme Aviscene ou Védécé par exemple.
Mais aucun de ces textes et témoignages ne représentent la réalité de ce qui fait notre métier, ne dépeignent les sensations véritables de doute, d'impuissance, de victoires temporaires, de véritable peur profonde, viscérale que les soignants peuvent ressentir aussi bien que ce court livre de Boulgakov.
Ecrit il y a un siècle, il dépeint parfaitement tout le spectre des "sensations médicales".
D'abord avec l'impuissance, l'ignorance et la sensation d'abandon du débutant. Le poids écrasant des responsabilités totales conjugué à la profonde ignorance conférée par une formation uniquement théorique que tous les internes ressentent lors de leur prise de fonction.
Puis, l'acclimatation progressive, puis l'expérience, sculptée par le frottement constant à la réalité qui donne une sensation temporaire de victoire.
Viennent ensuite les premiers échecs, l'anéantissement du moral, l'autodépréciation violente après une erreur médicale, l'impuissance face à l'implacable réalité.
Enfin la reconstruction, l'humilité forgée par les échecs où raisonne ce vers de Kipling "Si tu sais rencontrer Triomphe après Défaite et affronter ces deux menteurs d'un même front...".
Ainsi, les témoignages de Boulgakov sont authentiquement touchants par leur force vulnérable et leur crédibilité qui manque cruellement aux auteurs contemporains sus-cités.
Il devrait être lu par chaque étudiant amené à soigner, lors des cours de Sciences Humaines parce qu'il est vrai et résolument ancré dans la réalité.
Quel talent, pour narrer la sensation qui noue le ventre lorsqu'une urgence arrive en nuit profonde,
pour raviver chez le lecteur-médecin, jeune ou expérimenté, toute la peur qu'il a déjà vue .
Il fera écho, encore et encore, à nos victoires et nos défaites, en garde comme ailleurs, nous sentant moins seuls car riches des mots de cet auteur touchant qui en dépit de l'adversité a honoré pleinement son serment.