Méfiez-vous des joueurs de Badminton !

Ne cherchez pas, ici, "OSS 117" ni son pâle écho "007".
Ici, pas de "357 Magnum" destructeur ni de "Beretta" dévastateur, encore moins de "Kalachnikov".
Non, l’agent secret à la John le Carré est polyglotte, champion de badminton, marié et père de famille ! …


Il me semble avoir toujours connu John le Carré, et donc, que tout le monde le connait, mais en questionnant autour de moi, j’ai dû me rendre à l’évidence : "nous" sommes d’une autre génération.
John le Carré, de son vrai nom David John Moore Cornwell est né le 19 octobre 1931 à Poole, Dorset, au Royaume-Uni. Pendant les années 1950-60 il a travaillé pour le MI 15 et le MI 16 qui sont des départements de la Direction du renseignement militaire britannique. Il est l’auteur d’une bonne vingtaine de romans dont les plus importants sont L'Espion qui venait du froid (1963), La Taupe (1974), Comme un collégien (1977), Les Gens de Smiley (1979), Le Tailleur de Panama (1996) et La Constance du jardinier (2001).
"Retour de Service" est le vingt-cinquième roman de John Le Carré.


L’écrivain de quatre-vingt-huit ans, ex-espion de Sa Majesté, reprend du service, comme son héros et narrateur de 47 ans, comme nous le présente Jérôme Garcin sur France-Inter, le 9 juin 2020, lors de l’émission « Le Masque et la Plume », où le livre fait l’unanimité :
Arnaud Viviant (Transfuge) :
« Je trouve Retour de Service juste parfait : tout est merveilleux et drôle. »
Patricia Martin (France Inter) :
« C’est un roman hypnotique. John Le Carré n'est jamais là où on l'attend. Dans Retour de Service, il y a des méandres inattendus, sans arrêt. […] C'est très complexe. Si on peut suivre l'intrigue jusqu'au bout… mais en même temps, c'est à chaque fois précis, comme un tir d'arbalète. »
Olivia de Lamberterie (Elle) :
« Un sens génial de la description. On n'a pas l'impression qu'il écrit : il sautille, il gambade. »
Jean-Claude Raspiengeas (La Croix) :
« À 88 ans, et plus de 20 romans… John Le Carré a du métier. Il a des idées jeunes, mais on a affaire à quelqu'un roué pour ce genre de livre. C'est un roman qui est codé au point de croix. »


Donc, nous y voilà, dans Retour de service (Agent Running in the Field) John nous conte les dernières aventures d’un vieux de la vieille (47 ans !) des services de renseignement britanniques de retour à Londres après sa précédente mission à l’étranger. On n’est pas trop habitué de ce côté-ci de la Manche, mais là-bas, ils sont tous raccourcis, enfin, leur prénom. Ainsi, notre héros, c’est Nat (Nathaniel), son épouse, c’est Prue (Prudence), sa fille, Steff (Stephanie), un ami, Ed (Edward), une collègue, Flo (Florence), un chef, Dom, etc…
Nat, donc, de retour de mission, craint que s’en soit terminé et que le placard l’attend. Que nenni ! Le Service lui offre une dernière mission : diriger le Refuge, « une station annexe moribonde sous l’égide du Central Londres qui sert de dépotoir pour les transfuges sans valeur qu’on a réinsérés et les informateurs de cinquième zone qui partent en vrille ». Le Paradis, quoi, pour un homme d’action ! On lui aurait donné à gérer les archives… Non, non, détrompez-vous ! Et au Refuge, il trouve Flo, une jeune femme brillante, anticonformiste et pleine de ressources et de projets… Et il rencontre Ed.
Lorsque son service pour la Reine lui laisse un peu de répit, de retour au bercail, Nat joue au badminton dans son club, dont il est le champion ! Un jour se présente Ed, un grand gaillard, de moitié son âge, qui le défie au badminton… et c’est parti pour une quinzaine de matches suivis d’un verre propice aux confidences…
Et là, on peut penser que l’auteur en profite pour prêter aux protagonistes ses propres convictions. Tout particulièrement sur le Brexit et le Président Trump. Manifestement, John vide son sac.
Ainsi :
« Autant l’expression “méga boxon” ne figurait pas dans mon vocabulaire, autant le Brexit était depuis longtemps ma bête noire. Je suis un Européen de par ma naissance et mon éducation, j’ai du sang français, allemand, anglais, et russe blanc dans les veines. »
Ou ce dialogue :
« Tu sais ce que c’est, Trump ? – Dis-moi. – C’est le nettoyeur des chiottes de Poutine. Il fait tout ce que le petit Vlad ne peut pas faire lui-même : il pisse sur l’unité européenne, il pisse sur les droits de l’homme, il pisse sur l’OTAN. »
Ou encore :
« Le problème avec Trump, c’est qu’il est né chef de gang. Il a été élevé dans le but ultime de foutre en l’air la société civile par tous les moyens, pas d’en faire partie. »
Mais John ne s’arête pas là, il profite du moment où Nat a décidé d’apprendre à sa fille (vingt ans, environ) que son véritable métier est « espion » et non pas "rond de cuir minable" comme elle a toujours cru, pour résumer cette profession (qui fut la sienne) dans la réponse de la jeune fille : « Voyons si j'ai bien saisi, pour l'amour d'un pays au sujet duquel tu as de grosses réserves, voire de très grosses, tu persuades des ressortissants d'autres pays de trahir leur propre pays. Tout ça, parce que, eux, n'ont pas les mêmes réserves que toi sur ton pays, alors qu'ils en ont sur le leur. C'est bien ça ? »
On notera tout l’humour et la verve que John le Carré nous réserve tout au long de son roman. Il n’a rien perdu de sa virtuosité et de sa rigueur pour construire une trame habile et documentée. Il semble prendre plaisir à rappeler que les ennemis d’hier ne sont pas forcément les amis d’aujourd’hui. En vieux routier, Nat va tout mettre en œuvre pour faire ce qu’il sait faire : espionner, échanger des informations, conserver l’avantage, servir la Couronne, quand bien même le cœur n’y serait plus.
Retour de service met à mal l’image de l’espion spectaculaire avec belles voitures et femmes sublimes popularisée par Ian Fleming : le roman de le Carré est un récit frappé de modernisme et de féminisme qui renvoie l’image classique du renseignement dans les profondeurs obsolètes du machisme.

Philou33
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le 20 juin 2020

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