Retour sur l'horizon : Quinze grands récits de science-fiction par Hard_Cover
Une anthologie qui fait parler de/la science-fiction
Retour sur l'horizon aura fait couler beaucoup d'encre dans le microcosme de la science-fiction française. Sa sortie, à l'occasion des dix ans de la collection Lunes d'Encre chez Denoël (et au sein de cette même collection), a suscité des débats parfois houleux. La faute, notamment, à la préface de Serge Lehman, dans laquelle il fait grosso modo un bilan de l'état de la SF française à l'heure actuelle. Quand on sait que la définition de ce qu'est la science-fiction est déjà l'occasion d'échanges véhéments dans la communauté, on peut facilement imaginer que vouloir faire le point sur son état actuel – à quelque niveau que ce soit, scientifique, artistique, commercial – en vue de mettre en évidence des pistes d'évolution du genre ne pouvait que semer la zizanie au sein du « club », comme l'appelle Serge Lehman.
Je ne reviendrai pas sur cette préface pour ma part. Les débats, que j'ai suivi plus ou moins assidûment m'apparaissent finalement comme un conflit entre des grabataires, des moins grabataires et quelques jeunes sur des points pour lesquels il n'y a visiblement pas de réponse – ou plutôt des réponses – et sur lesquels ils ne pourront jamais se mettre d'accord. Et pendant qu'ils se disputent comme des chiffonniers, la SF continue d'évoluer, de sombrer, de grandir, pour devenir ce qu'elle deviendra, c'est-à-dire quelque chose que personne ne peut déterminer avec exactitude.
L'important, ce sont les textes !
Ce qui est intéressant dans une anthologie comme Retour sur l'horizon, c'est qu'elle réunit des textes aussi divers que variés, sans thème véritablement commun, même si Serge Lehman a construit l'anthologie avec une logique qu'il explique dans la dernière partie de sa préface. J'entends que les nouvelles de Retour sur l'horizon ont été écrites par des auteurs aux styles, aux idées et aux thèmes de prédilection différents et qu'elles racontent des histoires sans lien – évident – entre elles.
Et c'est parti pour des avis extrêmement subjectifs...
Du mauvais...
Dans la catégorie mauvais, je placerais les textes auxquels je n'ai trouvé aucun intérêt. Je n'ai par exemple pas d'explication à la présence de la courte nouvelle d'André Ruellan, Temps mort, qui n'a, à mon avis, rien d'un texte de science-fiction. Il ne m'a procuré aucune émotion.
Pas plus d'ailleurs que celui de Philippe Curval, Dragonmarx. Comme quoi ce n'est pas forcément avec les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes. La nouvelle de l'auteur de L'Homme à rebours, qui raconte l'endoctrinement magico-marxiste d'un homme vivant dans une Vienne occupée en partie par une enclave de communistes maîtrisant la magie de l'anneau de Nibelungen m'a ennuyé au plus haut point. Pourtant, l'idée de départ ne paraît pas mauvaise, et même plutôt fascinante. Je me suis toutefois tellement ennuyé en lisant la nouvelle que je n'en ai, à vrai dire, pas terminé la lecture. Tant pis si j'ai raté un final formidable...
Il en fut presque de même pour la novella de Jean-Claude Dunyach, intitulé Les Fleurs de Troye – titre-spoiler s'il en est. Elle met en scène un prospecteur d'astéroïdes doté d'une vue « améliorée » par accident. On retrouve dans cette nouvelle la patte de l'auteur d'Étoiles mortes, très beau roman et sans doute chef-d'œuvre de cet écrivain, mais ce texte-là est raté. Je n'ai pas compris où Dunyach veut faire aller son lecteur, ce qu'il veut dire par cette nouvelle. Rien, à mon avis. C'est une histoire creuse.
...du correct...
Il y a ensuite les nouvelles que je n'ai pas vraiment apprécié non plus, mais qui ont au moins le mérite de laisser entrevoir quelque chose : sentiments, images fortes, talents d'auteurs...
À commencer par Penchés sur le berceau des géants de Daylon. Le récit, comme celui de Jean-Claude Dunyach, ne mène nulle part, ne raconte pour ainsi dire rien. Mais il évoque toutefois des images hallucinantes, magnifiques, originales. Ce texte donne l'impression que Daylon est un écrivain de démarche. Ce qui l'amène à écrire est plus important que le résultat final. C'est un peu dommage mais en même temps très intéressant.
Ce phénomène n'est pas à confondre avec le procédé employé par Fabrice Colin, qui signe à la fois la lettre d'introduction (Ce qui reste du réel) et le texte Effondrement partiel d'un univers en deux jours (signé Emmanuel Werner). La première cherche à transcender un texte qui rend hommage à Philip K. Dick mais auquel je n'ai pas accroché.
La nouvelle de David Calvo, au titre amusant de Je vous prends tous un par un, appartient vaguement au genre qui nous intéresse et se révèle peu digne qu'on s'y attarde. Je ne comprends pas l'intérêt de ce texte, sinon un certain humour, mais pas de quoi pavoiser...
Enfin, Hilbert Hotel, de Xavier Mauméjean, est le dernier texte de l'anthologie. Il nous y évoque un hôtel infini de façon infiniment classique. Bof bof, dirais-je. Et comme c'est un des premiers textes de l'auteur que je lis et que je crois comprendre qu'il est assez représentatif du travail de Mauméjean – dans le style et dans l'idée d'évocation de lieux fantastiques –, je suis dubitatif vis-à-vis de cet écrivain.
...du bon...
Et nous en arrivons donc aux vraiment bons textes, de mon point de vue, bien sûr.
Je commence mes éloges avec Lumière noire de Thomas Day, qui est la moins bonne des bonnes nouvelles. On y trouve action, aventure et décor post-apocalyptique à la Terminator. En effet, une intelligence y a pris le contrôle du monde et décimé une partie de la population humaine. Les survivants subsistent comme ils le peuvent, certains avec l'espoir de renverser Dieu, l'I.A. maître du monde. Day livre ici une novella vitaminée qui se lit d'un trait, facilement. Certes, on n'est pas là en présence d'un texte du niveau littéraire de la plupart des autres de l'anthologie, mais l'auteur de This is not America donne un exemple d'une certaine facette de la science-fiction qui a sa place dans cette « photographie de la SF actuelle » : divertissante, rythmée, peut-être sans grande prétention littéraire mais pas pour autant dénuée d'idées.
Autre texte fort sympathique : celui d'Éric Holstein, intitulé Tertiaire, qui place le lecteur face à un avenir probable, où tout se vend et s'achète ou se loue, de l'apparence physique à la possibilité d'enfreindre les lois. Holstein fait dans la caricature, parodiant les pires scénarios d'anticipation des dérives de notre société libérale. Il nous fait sourire (dans le bon sens du terme, j'entends) ; l'objectif est atteint.
Catherine Dufour, avec Une fatwa de mousse de tramway, fait aussi dans l'humour (grinçant). Le titre de la nouvelle le laisse imaginer. Elle réussit avec l'aisance qu'on lui connaît à mettre en évidence le ridicule de certains aspects de notre société. On reste juste un peu déçu de ne pas en savoir plus sur cette maudite potasse... Le reste est juste très bon.
Laurent Kloetzer, lui, ne nous fait pas rire. Il met en scène dans Trois singes un personnage de terroriste au cours d'un interrogatoire. L'homme parle, alors qu'il dit ne pas vouloir le faire, ce qui apparaît d'abord ridicule. Mais tout s'explique au fur et à mesure qu'il décrit les événements qui ont fait basculer le monde. Une nouvelle à découvrir !
... et du très bon
Avec les trois dernières nouvelles présentées ci-dessous, on atteint un très très haut niveau de qualité. Je disais plus haut que ni Ruellan ni Curval ne m'avaient enthousiasmé avec leurs textes alors qu'ils sont les plus anciens auteurs participant à Retour sur l'horizon. À l'opposé, ce sont parmi les écrivains les moins connus que l'on trouve ceux qui livrent les meilleures nouvelles. Léo Henry commence cela dit à se faire un nom puisqu'il est le co-auteur, avec Jacques Mucchielli, du recueil Yama Loka Terminus et qu'il participe à l'anthologie Les Derniers jours d'Edgar Poe dirigée par Richard Comballot qui sort très prochainement. Maheva Stephan-Bugni signe pour sa part ici son premier texte publié. Quant à Jérôme Noirez, il est maintenant bien connu, notamment grâce à ses Leçons du monde fluctuant ou son Diapason des mots et des misères qui a obtenu le Grand Prix de l'Imaginaire 2010.
Je commence par Pirate de Maheva Stephan-Bugni. On y trouve une allégorie des réseaux sociaux comme Facebook, ou des blogs. Le monde gris dans lequel est mis en scène le personnage principal – un illustrateur au chômage – dévoile la possibilité de s'ouvrir aux autres, de communiquer, même si on ne se voit pas ou ne se connaît pas. C'est un des rares textes optimistes de l'anthologie, comme quoi on peut trouver de l'espoir dans la SF.
Dans Terre de Fraye, Jérôme Noirez dévoile un futur terrifiant, bouleversé par le « bloop », phénomène sous-marin d'où émerge des créatures étranges prenant le pas sur la faune maritime de la Terre et provoquant la montée des eaux et le grignotement des terres. Clioné y est un surfeur célébrissime, star de programmes télévisuels. Il va par hasard tomber sur un extraterrestre obsédé sexuel, de qui il apprendra le mystère du bloop... et l'amour. Noirez offre donc une des meilleures nouvelles de Retour sur l'horizon : drôle, bien écrite, pleine d'humanité avec ses personnages fascinants et attachants. Elle donne très envie d'explorer plus avant l'univers d'un auteur qui semble bien mériter les louanges dont il est couramment l'objet.
Léo Henry, lui, triche un peu. Il offre quatre nouvelles pour le prix d'une, mais pour notre plus grand plaisir. La première est le prétexte aux trois autres, mais de toute aussi bonne qualité. Les Trois livres qu'Absalon Nathan n'écrira jamais présente une cité-république où l'Art est la plus grande richesse, un savoir-faire exporté à prix d'or, mais surtout développé en analysant les capacités de chacun à être artiste et en lui donnant la possibilité d'exprimer son talent. Absalon Nathan, lui, n'a révélé aucune capacité particulière, mais c'est une erreur. Il aurait eu les moyens d'écrire trois chefs-d'œuvres, trois romans dont Léo Henry nous fournit les synopsis. L'auteur y joue avec le travail d'écrivain, s'amusant à le triturer, à le transformer en le plaçant dans des situations fantastiques. On peut critiquer ce regard égocentrique de l'écrivain sur son métier mais on ne peut nier que Léo Henry dispose d'un grand talent et d'une imagination délirante et éblouissante. On en veut d'autres !
Conclusion
J'ai tout à fait conscience d'être assez lapidaire dans mes critiques, aussi bien pour les nouvelles que j'ai aimées que celles que j'ai moins aimées – voire pas aimées du tout.
Chacun trouvera son compte dans cette anthologie éclectique, qui contient du bon et du mauvais. Mais il faut la lire car c'est un incontournable de la fin d'année 2009.