Depuis la mort de son mari, Tara n’est pas seulement envahie par le chagrin et la solitude. C’est tout le passé, qui, longtemps refoulé, s’invite au crépuscule de sa vie. Un passé dans un autre pays, où elle portait un autre nom, et au cours duquel, après avoir tout perdu, il lui a fallu trouver la force de survivre et de rebondir.
Quoi de plus bouleversant que d’entamer le récit d’une vie par son terme. Tara est une vieille femme dont le récent veuvage semble faire vaciller la raison. L’on ne tarde pas à réaliser qu’il ne fait que rompre les digues du passé. Avec son mari disparaît ce qui l’amarrait au présent et à son existence en France, nul n’ayant jamais su ce qu’elle avait vraiment vécu avant, tant elle s’est toujours instinctivement attachée à l’enfouir au plus secret d’elle-même. Longtemps contenus, les souvenirs n’en ressurgissent qu’avec plus de force, et la femme âgée s’efface peu à peu pour laisser revivre l’enfant et la jeune femme, intactes dans une mémoire où se mélangent désormais les époques.
En remontant le temps, la narration nous transporte quelque part en Asie, en Thaïlande peut-être, mais peu importe finalement. Elle raconte la violence et la dictature, l'humiliation et la privation de liberté, la condition des filles, qui plus est, des orphelines et des « filles gâchées », la lutte pour la survie dans un maelström de circonstances où les hasards et la chance comptent autant que la force de résilience. Tout en retenue et suggestivité, le récit laisse peu à peu crever la gangue de silence dont s’était entourée Tara, comme souvent les survivants de l’indicible. Et le lecteur découvre avec émotion la fragilité d’une reconstruction, permise par l’amour d’un homme qui n'en aura d’ailleurs jamais pleinement pris conscience, sans que jamais elle ne parvienne à cicatriser vraiment les blessures d’une jeunesse saccagée.
Ses personnages justes et attachants, sa narration sobre et sa tonalité douce-amère, entre ombre et lumière, confèrent émotion et profondeur à cette histoire irrémédiablement douloureuse, malgré la résilience. Jamais ne se comble l’abîme d’une enfance massacrée… Coup de coeur.
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