Attention, Tanger ! Cette cité hautement littéraire, qui a fasciné tant d'écrivains-voyageurs, est aujourd'hui une sorte de symbole de la mondialisation avec sa zone franche d'exportation qui contraste avec le caractère oppressant de la société marocaine. La ville est le cadre principal de Rue des voleurs, un roman où Mathias Enard s'est littéralement glissé dans la peau d'un jeune marocain "normal", enfin presque, qui va vivre en accéléré des événements qui vont bouleverser sa vie. Le livre est une véritable gageure : rapide, incisif, très direct dans son style, prosaïque même par endroits, il prend le temps de creuser en profondeur le portrait psychologique de son héros, Lakhdar, ses contradictions et ses tiraillements incessants, de son goût pour le polar à son désir d'amour en passant par ses relations complexes avec la religion. La toile de fond, sociale et politique, est loin d'être un simple décor : le printemps arabe embrase les pays voisins, l'attentat de Marrakech traumatise le Maroc, la crise frappe de plein fouet l'Espagne, là où Lakhdar vient "échouer", plus précisément à Barcelone, encore une ville à multiples visages. Enard n'oublie pas les personnages secondaires : islamistes, marins, amoureuse occidentale, etc. Ils sont mystérieux, énigmatiques, admirablement campés. Rue des voleurs est un roman d'une richesse considérable, témoignage réaliste d'une époque en mouvement où toute quête identitaire se heurte à la violence d'une société qui ne fait de cadeau à personne. Et surtout pas à une jeunesse en quête d'espoir ou d'idéal.