La vérité n’est pas le contraire du mensonge, trahir n’est pas le contraire de servir, haïr n’est pas le contraire d’aimer, confiance n’est pas le contraire de méfiance ni droiture de fausseté. Surprenants paradoxes, sur lesquels s’ouvre le roman que Francis Walder consacre à un épisode peu connu de l’histoire de France : les pourparlers entre catholiques et huguenots qui aboutirent en août 1570 à la paix de Saint-Germain. Notons qu’en matière de négociation, l’auteur, écrivain et diplomate belge, en connait un rayon : c’est d’ailleurs le souvenir des missions auxquelles il a pris part, notamment après la seconde guerre mondiale, qui l’a poussé à écrire ce petit livre qui est en fait une magnifique leçon sur l’art de négocier et se retrouve souvent dans le programme de lectures des écoles de marketing ou du bac de droit.


Je l’avoue, lorsque j’ai découvert ce roman voici quelques années, j’avais pas mal d’idées préconçues sur la question, la principale étant que les diplomates et ambassadeurs de tout poil doivent être le genre de gars dont il faut se méfier, des êtres hypocrites et dissimulateurs, fourbes et retors, froids, calculateurs, flatteurs quand il le faut, menteurs tout le temps, prêts à manger leur parole et à retourner leur veste au gré des alliances. Force est de constater que ce livre, s’il m’a d’une certaine manière confortée dans certains de mes préjugés, m’a également permis de découvrir des facettes bien plus humaines du métier de négociateur.


Mais venons-en à l’histoire. En 1570, las de voir la France déchirée par les guerres de religion, Charles IX (enfin, plutôt la reine-mère Catherine de Médicis), souhaite négocier une trêve avec les protestants. Il désigne deux négociateurs pour entamer les pourparlers avec les huguenots :un militaire altier et boiteux, le baron de Biron et Henri de Mesmes, seigneur de Malassise. Négociations d’autant plus compliquées que chaque camp est conscient de sa force et de l’importance de l’enjeu. Après d’âpres discussions et maints retournements de situation, il sera décidé d’accorder aux protestants, pour une durée limitée, quatre places fortes où ils pourront professer leur foi. Deux ans plus tard, le massacre de la Saint-Barthélemy sonnera le glas de cette trêve éphémère, rendant caduc ce pacte dont la fragilité était, aux dires du narrateur Henri de Malassise, le signe de la perfection puisque l’art du compromis entre deux parties d’égale puissance est une espèce de jonglerie qui ne peut mener qu’à un équilibre instable aussi précaire qu’un château de cartes.


Et donc, tout ça pour ça ? Pour cette paix « boiteuse et mal assise », comme le diront les mauvaises langues, par allusion aux deux négociateurs ? Mais l’essentiel est ailleurs. Sous ses dehors austères, ce roman est rempli de passions intenses et le lecteur se laisse captiver par le ballet virevoltant que jouent les protagonistes, mus plus bien qu’ils ne le voudraient par leurs sentiments ; il assiste au jeu des alliances qui se nouent et se dénouent tandis que les tractations vont bon train. Comme s’il assistait à une pièce de théâtre qui déserterait la scène officielle au profit des coulisses, il surprend des rapprochements improbables, des amitiés hors norme, des trahisons qui font mal. A plusieurs reprises, Malassise, pourtant fin diplomate, se laissera piéger au jeu des faux semblants et de la séduction, surtout lorsque sa mystérieuse cousine, Eléonore de Mesmes, acquise à la cause protestante, se joindra aux débats.


C’est une des leçons à tirer de cette histoire : la force d’un bon négociateur consiste en un savant mélange de dissimulation, de maîtrise de soi, d’empathie et de respect de l’autre. Chacun sait qu’il faut connaitre son ennemi pour espérer en triompher. Mais pour cerner l’adversaire, il faut s’en rapprocher et s’ouvrir à lui afin de gagner sa sympathie. Un jeu dangereux, où l’on peut tout gagner ou tout perdre. Ce que découvre en fin de compte Malassise, c’est que ce qui divise les hommes est souvent bien plus ténu que ce qui les rapproche. Et que si aucun traité ne pourra mettre fin de manière définitive aux conflits qui les déchirent, il reste à espérer une évolution des esprits qui leur permettra, un jour, de gagner tous ensemble.

No_Hell
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Menteurs, mythomanes, imposteurs …

Créée

le 9 nov. 2016

Critique lue 1.1K fois

9 j'aime

8 commentaires

No_Hell

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

9
8

D'autres avis sur Saint-Germain ou la Négociation

Saint-Germain ou la Négociation
Floax
8

La diplomatie pour les nuls.

Francis Walder est un auteur belge, couronné par le Goncourt, mais aussi un ancien diplomate qui assista aux négociations après la seconde guerre mondiale. Trois éléments essentiels pour comprendre...

le 5 avr. 2014

3 j'aime

1

Saint-Germain ou la Négociation
S_Gauthier
10

Ceci n'est pas un manuel de négociation.

En 1570, M. de Malassise, le narrateur, négocie face à deux diplomates protestants – Monsieur d'Ublé et M. de Malynes – pour le compte de Marie de Médicis la transitoire paix dans les Guerres de...

le 4 juin 2021

2

Saint-Germain ou la Négociation
Strider64
8

La fabrique de la négociation

Il y a le contexte, historique. Celui d'une guerre civile. Il y a le contexte romanesque. Celui d'amitiés et d'amour, et de trahisons bien sûr. Ils accompagnent, accessoirement, l'objet principal du...

le 15 mai 2021

1

Du même critique

Joker
No_Hell
10

Eloge du maquillage

Quelle claque, mais quelle claque ! C’est vrai, j’ai tardé à aller voir Joker, mais voilà : je sors de l’expérience éblouie, ébranlée, totalement chamboulée. Partie pour visionner un bon thriller...

le 23 déc. 2019

53 j'aime

35

L'Adversaire
No_Hell
9

Ce qui, en nous, ment

Certaines expériences de lecture sont particulièrement marquantes. C’est ainsi que je me souviens parfaitement des circonstances de ma rencontre avec L’Adversaire d’Emmanuel Carrère. Le hasard avait...

le 17 avr. 2017

52 j'aime

50

Confiteor
No_Hell
9

Le mal, le chaos, la musique

Que reste-t-il de soi quand la mémoire irrémédiablement se désagrège et que la conscience de son être prend l’eau de toute part? Que reste-t-il quand des pans entiers de pensée s’effondrent dans...

le 24 juil. 2018

50 j'aime

53