Salina
7.8
Salina

livre de Laurent Gaudé (2018)

C’est un roman puissant, qui crée des images mémorables, à la frontière du mythe – on reconnaît d’ailleurs des schémas mythiques bien connus. Gaudé développe une fiction africaine sans verser dans un exotisme de mauvais aloi.

Malgré cette réussite, j’ai été un peu décontenancé par la façon dont le roman hésite entre un cadre assez réaliste, mais ponctué d’invraisemblances, et des éléments merveilleux qui m’ont semblé souvent trop peu amenés et m’ont alors fait sortir de l’histoire (tout particulièrement la naissance prodigieuse dans le désert).

Je me demande également s’il n’y a pas un peu de facilité quand l’auteur cherche à créer du mystère et de la surprise en donnant si peu d’informations sur ses personnages, souvent mutiques, et sur le monde fictif qu’il crée, pourtant riche en codes et en traditions. Gaudé affirme avoir voulu une œuvre épique. Or Homère ou Tolkien ne faisaient pas mystère des pensées de leurs personnages et enrichissaient leurs histoires d’un nombre considérable de détails qui donnaient à leur univers une vraie profondeur. Gaudé, et ce n’est pas forcément un reproche, a choisi de construire son monde épique de façon bien plus économe, mais m’a semblé alors substituer parfois la surprise à l’admiration. Les passages épiques ne m’ont pas vraiment convaincu. Ainsi, le combat extraordinaire entre les deux frères est bien moins réussi que des combats assez similaires chez l’Arioste et Le Tasse, ou le duel entre Olivier et Roland dans La Légende des siècles.

Enfin, je me suis interrogé sur ce que ce roman cherche à nous dire. Il y a bien sûr la dénonciation des mariages forcés, et la dialectique entre la vengeance et le pardon, mais j’ai trouvé un peu vain un autre thème majeur développé tout au long du roman, l’idée qu’il faut parler des morts, qu’en parler réconforte, et que la parole réunit les auditeurs dans une éphémère communauté. Cela n’a rien de renversant, et m’a semblé résumer l’impression générale que m’a faite Laurent Gaudé : celle d’un brillant conteur, mais qui aime s’entendre parler.


Ascyltus
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Journal de lecture 2024

Créée

le 28 juil. 2024

Critique lue 22 fois

Ascyltus

Écrit par

Critique lue 22 fois

D'autres avis sur Salina

Salina
Hitar
8

Récit d'une femme brisée

Cadre : une Afrique mythifiée Le parcours de Salina, contrainte de se marier à un homme qu'elle n'aime pas ; une femme brisée humiliée, qui accomplira sa vengeance... Très beau récit doux-amer...

le 3 févr. 2021

1 j'aime

Salina
PauleOpé
10

La force du récit alliée à la pureté de la langue

Une île-cimetière au milieu d'un fleuve, au milieu du désert. C'est là que Malaka amène le corps de sa mère Salina (Salina, comme le sel des larmes). Le cimetière et son passeur décideront s'il peut,...

le 21 déc. 2019

1 j'aime

Salina
Ascyltus
7

Roman réussi, épopée ratée

C’est un roman puissant, qui crée des images mémorables, à la frontière du mythe – on reconnaît d’ailleurs des schémas mythiques bien connus. Gaudé développe une fiction africaine sans verser dans un...

le 28 juil. 2024

Du même critique

Mémoires de deux jeunes mariées
Ascyltus
9

Critique de Mémoires de deux jeunes mariées par Ascyltus

Balzac est un des écrivains les plus inégaux qui soient. Ainsi, dans ces Mémoires, il peut écrire des choses tout à fait ridicules, comme : « L'Abencérage n'a pas sourcillé, la coloration de son sang...

le 3 nov. 2022

5 j'aime

Simone - Le voyage du siècle
Ascyltus
7

Veil que Veil

Près de trois heures après la fin de ce film, il continue à me plonger dans la mélancolie ; je me disais au moment où commençait le générique, que j’aurais besoin d’une distraction légère ce soir,...

le 31 oct. 2022

5 j'aime

1