Imagine-t-on André Malraux écrire une fanfiction pornographique des Pinçon-Pinçon-Charlot ?

Je me demande quelle fut la réception de ce livre à sa publication, en 2014, quand son autrice n’était pas encore une figure macroniste et ancienne ministre de la République. Car disons-le d’emblée : le seul intérêt de Sexe, mensonges et banlieues chaudes en 2025, c’est son autrice. Et de constater qu’en 60 ans, nous sommes passés, en termes de ministres-écrivains, d’André Malraux à Marlène Schiappa (je n’ai pas encore lu Bruno Le Maire) – oui, c’était mieux avant.

Commençons par l’intrigue, absolument abracadabrantesque, oscillant entre une fanfiction très cul vaguement inspirée de Point de vue et de l’œuvre sociologique des Pinçon-Pinçon-Charlot (selon Schiappa, les mondains passent leur temps à faire des orgies), et un roman d’émancipation féminine parodiant (en tous cas j’espère. J’ai des doutes, mais j’espère) des stéréotypes sociaux et raciaux. C’est donc l’histoire de Sara, héritière d’un empire de mode, qui s’ennuie dans ses fiançailles avec Amaury, autre héritier de la noblesse française, genre de finance bro sans aucune fantaisie et talent pour la chose. Pour l’anecdote, c’est lui qui crie « Vive la France » en éjaculant, ça revient plusieurs fois et c’est un des seuls gags drôles du livre. Se sentant écrasée par son milieu qui décide de son destin à sa place, Sara décide de rompre ses fiançailles et quitter son emploi doré chez belle-maman et se retrouve à faire partie malgré elle d’un programme de « diversité » de France Télévisions. Je vous épargne la suite : les rebondissements de l’histoire sont invraisemblables et ne servent même pas de prétexte à écrire des scènes de cul par ailleurs peu inspirées.

Exit Hombeline, Amaury et Ophélie, bonjour Djalil, Aïssatou et Soraya. Oui oui, on est à ce niveau-là. Tout ça n’a aucun sens et rend profondément mal à l’aise à la lecture : s’il est à peu près clair que la narratrice a conscience des us et coutumes de sa tribu d’aristocrates et qu’elle s’en moque, les clichés activés dans la deuxième partie du roman quand elle doit « devenir » banlieusarde frôlent le racisme le plus crasseux. « Je dois vous confesser un rapide passage […] à Point Soleil. N’oubliez pas que je dois « faire marocaine ». Dans le même état d’esprit, j’ai maquillé mes yeux avec du khôl noir bien gras que j’ai laissé couler pour la touche d’authenticité » (p. 81). Le moment de la rencontre inspire Schiappa : « Et que suis-je censée dire ? Salamalikoum, mon frère ? Il doit y avoir une expression, un mot, une marque de reconnaissance. […] Ah, donc ils disent bonjour comme à Neuilly. C’est déjà ça. Finalement, peut-être vais-je devenir bilingue Neuilly / Saint-Denis plus vite que prévu ? » (p. 83). Et quand on lui demande comment elle est venue depuis la Seine-Saint-Denis, Sara répond : « Euh… en tapis volant ! » (p. 84). Ahahah. Sans parler de l’érotisation de Djalil, qui pue le rance des fantasmes post-coloniaux les plus éculés : « Son odeur envahit mes narines. Une odeur de musc, de transpiration, de café fort, bref, une odeur de mâle. Je jurerais même qu’il sent un peu la bite. » (p. 98).

Ce fond peu ragoûtant n’est pas sauvé par une quelconque écriture : le « style », faiblissime, évoque des téléfilms de chaîne privée de sous-catégorie, diffusés la semaine en milieu d’après-midi et doublés à la serpe, avec des dialogues insipides et des descriptions dignes d’un élève de 4e. Dès la page 11, Schiappa passe à côté d’un zeugma (faute impardonnable) : « Vous m’avez vue, à travers cette vitrine, et vous m’avez oubliée, parce que vous êtes rentrée chez vous faire la cuisine, faire l’amour, faire un bébé, faire carrière ». Page 15, la mère est éditorialiste à Elle, page 33 à Belle. Pour conclure un chapitre : « Je suis encore loin de me douter que c’est toute ma vie qui va s’en trouver bouleversée… » (p. 47) ; je hurle. Et une maxime que je vous laisse méditer : « Est-ce que l’amour, c’est jouir ensemble ? Ou est-ce que l’amour, c’est se marier ensemble ? » (p. 68). La couverture est peut-être l’une des plus laides que j’ai vues dans ma vie de lecteur, et la mise en page est ponctuée de pictogrammes sac à main (oui oui) qui remplacent les astérismes, ces trois astérisques délimitant les paragraphes. On dirait une très mauvaise blague et ça l’est, de toute évidence, mais à l’insu de l’autrice.

Concluons tout de même sur une note positive : il y a trois choses qui m’ont fait rire dans ce livre. 1. Une blague impliquant Manuel Valls, toujours efficace ; Sara demande ses « origines » à sa wedding planner réticente à les lui dire : « Détendez-vous, Amel, Manuel Valls n’est pas caché dans un placard avec un charter. C’est pour mon information personnelle. » (p. 94). J’ai trouvé ça plutôt drôle ; dites-vous qu’à ce stade il me restait encore 80 pages à lire, il faut se raccrocher à ce que l’on peut. 2. L’élément déclencheur de l’intrigue, un discours du fiancé Amaury qui ne comprend pas pourquoi Sara veut absolument changer de travail, et travailler tout court, alors qu’elle n’en a aucune nécessité économique, m’a rappelé le fameux « les féministes sont d’aimables connes » de Houellebecq, qui, sous couvert de provocation facile, était une critique du travail. 3. En lisant avec le recul et en connaissant la carrière politico-médiatique de Marlène Schiappa, on s’amuse de lire dans ce livre des jugements politiques fins (« je n’ai jamais compris pourquoi les cathos de droite et les altermondialistes de gauche ne s’entendaient pas mieux que ça ; ils détestent la société de consommation, et sont aussi rabat-joie les uns que les autres », p. 15), son bon copain Hanouna qu’elle voulait comme animateur du débat d’entre-deux-tours Macron-Le Pen, je rappelle (« j’aimerais rentrer me doucher, enfiler un pyjama H & M en coton et manger des rillettes directement dans le pot devant un replay de Cyril Hanouna dansant sur « Et quand il pète, il troue son slip », p. 54), et même le désormais fameux lissage brésilien (« Mon lissage brésilien m’évite de faire un brushing, j’ai donc passé tout mon temps à choisir une tenue », p. 67). Tout était déjà là...

Si elle veut entrer dans l’Histoire pour autre chose que sa nullité politique, Marlène Schiappa va devoir se remettre au travail. Si toute sa production littéraire est de cet acabit (et je ne compte plus donner de ma personne pour vérifier), ni le prix Nobel de Churchill, ni le Goncourt de Malraux, ni même le fauteuil à l’Académie de Giscard ne lui sont envisageables…

antoinegrivel
1
Écrit par

Créée

le 10 janv. 2025

Critique lue 54 fois

Antoine Grivel

Écrit par

Critique lue 54 fois

D'autres avis sur Sexe, mensonges et banlieues chaudes

Sexe, mensonges et banlieues chaudes
Barmad
3

Si Beigbeder était une gamine de 16 ans.

Ah merci les copains pour ce cadeau aussi improbable que plaisant. Tout est parti d'une blague au détour d'une conversation et me voilà en possession de cet ouvrage surprenant pour mon...

le 23 mars 2022

5 j'aime

1

Sexe, mensonges et banlieues chaudes
jerome60
3

Critique de Sexe, mensonges et banlieues chaudes par jerome60

Dans ce roman, on suit la vie trépidante de la pétillante Sara, richissime jeune femme de Neuilly fiancée à Amaury de Saint Sauveur, futur magnat de la finance. Le mariage avance à grands pas mais...

le 6 mai 2014

4 j'aime

1

Sexe, mensonges et banlieues chaudes
You_ouy
1

Merci Marlène !

un chef d'oeuvre digne de son auteur•rice c'est à dire une merde. On découvre l'histoire de Sara qui aime bien Courchevel et les Suisses de 2m. Le récit est incohérent de bout en bout. La fin est...

le 22 mai 2022

1 j'aime

Du même critique

Cher connard
antoinegrivel
7

Être V. Despentes est toujours une affaire plus intéressante à mener que n'importe quelle autre

Dissipons le malentendu tout de suite : ce n'est pas un très bon roman. Le dispositif narratif en conversation épistolaire tourne vite à vide, quoique fort divertissant les cent premières pages. Ce...

le 22 août 2022

42 j'aime

3

Connemara
antoinegrivel
7

La méthode Mathieu

Ouvrir un roman de Nicolas Mathieu, c'est un peu comme ouvrir un Houellebecq : on sait ce qu'on va lire, avec quelques variations à chaque fois, et on n'est jamais déçu. La méthode Mathieu, c'est...

le 10 mai 2022

30 j'aime

Veiller sur elle
antoinegrivel
5

Laurent Gaudé en Italie du Nord

Je sais bien qu'il ne faut jamais regarder les bandeaux, que c'est une ruse d'éditeur. Je me sens trompé par Olivia de Lamberterie, que j'adore. Une "émotion exceptionnelle", tu parles... Au moins,...

le 8 nov. 2023

17 j'aime

13