Sous couvert d'originalité on a écrit bien des choses insipides. On affublait l'œuvre d'une recherche poussée alors qu'elle se contentait de survoler gentiment ce qu'elle avait en réalité voulu aborder. Le roman de Calvino s'éloigne profondément de ce paraître.

J'avais débuté Si par une nuit d'hiver un voyageur il y a de cela un bout de temps. Cent pages avalées et mon intérêt croissait conséquemment. Puis, je ne sais pour quelle raison, je dus arrêter la lecture. Une pause où j'avais alors laissé mes ressentis de l'époque et amoncelé quelques anticipations sur la suite de l'histoire.

Quoi de mieux que le soleil pour accompagner une lecture estivale. Transat savamment disposé dans le jardin, parasol enfoncé dans son pied pour n'ombrager que ma tête et laisser bronzer mes longues jambes, la lecture pouvait recommencer.

Le roman de Calvino m'avait laissé quelques souvenirs impérissables, c'est-à-dire un incipit savoureux et une narration bien sentie. Enchaînant ainsi la centaine de page qui me reliait à la découverte de nouvelles lignes, je voyais apparaître de nouveaux éléments qui m'avaient échappé à la première lecture. Échapper n'est, il me semble, pas le bon mot. Je crois avoir mûri pendant cet instant séparant mes deux lectures. Si par une nuit d'hiver (...) prenait tout son sens. Il était bien plus complexe que dans mes souvenirs et s'installait irrémédiablement dans une écriture à la pensée recherchée, intelligente et futée.

Et puis au détour d'une page tournée, la lecture prit un sens nouveau. Nouveau ou comme le dirait le Littré « qui vient d'apparaître » ; ça y est je faisais face dorénavant à des pages vierges de mon regard. Je tombais sur un incipit qui aspirait en moi toute forme d'esprit, de pensée. Douce sensation que celle de s'abandonner sans retenue au milieu de personnages inconnus. J'ai vogué ainsi dans cette chaude ambiance jusqu'à la fin du livre, extasié, projeté au fond de moi-même.

Et si ce simple plaisir qui consiste à apprécier le style d'un auteur ne vous suffit pas, n'ayez crainte tant l'œuvre de Calvino est dense et puissante.

Je m'explique. Il faut en effet penser chaque chapitre comme des cordes chues à terre. Vous avancez dans leur direction et plus le nombre de vos pas augmentent plus ces cordes se font nombreuses. Ainsi, dans votre quête « Calvinoiste » vous avez premièrement rencontré une corde représentant le premier chapitre. Une autre à terre représente le second et ainsi de suite. Vous vous devez de toutes les saisir, on avance dans cette aventure qu'ainsi. Enfin, après avoir exactement rassemblé vingt-deux cordes vous faites face à un mur colossal, effrayant. Une petite pancarte s'y trouve suspendue : « Tirez-les » et sans trop d'effort vous empoignez vos cordes, les faites jouer ne sachant pas quoi penser de cette situation troublante et soudainement, dans un bruit assourdissant le mur s'effondre. Vous avez découvert l'essence de la lecture, sa genèse, ses agissements les plus profonds, sa logique écrasante, ses aspects terrifiants.

Voilà pourquoi Si par une nuit d'hiver un voyageur m'a tant bouleversé. Certains pourraient me rétorquer qu'il n'est que de la masturbation intellectuelle. Il l'est pour celui qui n'ose pas approfondir les questions littéraires fondamentales débattues dans l'ouvrage. Sont abordés la transcription, la traduction, l'exégèse, la façon dont nous lisons, les fins attribuées à l'ouvrage, les moyens stylistiques de l'auteur... Bref, c'est un livre foisonnant à la fois de pistes intellectuelles mais aussi de réponses. Le dernier chapitre l'atteste sensiblement. Et si la lecture ne se concevait pas autrement que comme nous la voyons nous?

Il ne faut pas aborder ce livre sans rien savoir de lui, sous peine d'être retrouvé agonisant à ses côtés. Il faut que vous vous prépariez à aborder une tempête titanesque avec crainte mais aussi avec un soupçon de quiétude afin de savourer pleinement l'extase intellectuelle qui s'offre à vous.

Et si l'on me dit que Calvino souffre parfois d'une baisse de régime, je vous dirais que c'est vous qui vous étiez envolés loin des lignes. Et si l'on me dit que Calvino se perd dans son ouvrage c'est que vous n'avez pas su attraper les cordes à temps. Et si l'on me dit que réfléchir fait peur alors, attendez, je m'en vais vous flinguer!

Créée

le 17 juil. 2012

Modifiée

le 17 août 2012

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TueReves

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