Si vous êtes ailurophile exclusif, passez votre chemin !
Ici on ne parle que de chiens, de chiens et d’hommes. Les deux sont inséparables.
Le 13 août 2023 le journal Sud-Ouest Dimanche consacrait une page entière à un entretien avec Cédric Sapin-Defour ayant pour titre « Mon chien Ubac m’a appris à vivre dans l’instant présent » et en sous-titre "Gros succès en librairie cet été, totalement inattendu, pour « Son odeur après la pluie », le livre que Cédric Sapin-Defour consacre à son chien, son ami. Un texte émouvant, juste, sans surplomb ni mièvrerie".
J’ai une tendresse particulière pour "Le meilleur ami de l’homme" – juste retour des choses – je me suis donc empressé de me procurer le livre en question…
Cédric Sapin-Defour est né, par hasard, à Saint-André-des-Vergers, dans l’Aube, en 1975, suivant ses parents enseignants d’éducation physique et sportive au gré de leurs mutations professionnelles. La famille s’installe à Oyonnax en 1986, à proximité des Alpes. Il est lui-même professeur d’éducation physique, amoureux de la montagne et du ski de randonnée. Il pratique intensément les activités de montagne, avec son épouse Mathilde, elle aussi professeure d’éducation physique, comme compagnon de cordée et de vie : leur camp de base est, depuis 2005, établi à Arêches dans le Beaufortain, avec quelques bouviers bernois et labradors autour d’eux.
Ancien chroniqueur pour le mensuel "Montagnes Magazine", il est aujourd’hui collaborateur au quotidien "Libération" et publie tous les lundis matin, pour la revue en ligne Alpine Mag, un billet d’humeur en lien avec la montagne intitulé "Espresso". Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont : "Le dico impertinent de la montagne" (2014), "Qu’ignore-je ? L’alpinisme" (2015), "Gravir les montagnes est une affaire de style" (2017), "L'art de la trace" (2020) et "Son odeur après la pluie" (2023).
Pour en revenir à son dernier livre, il me plait assez de penser que nos amis canins ont ce pouvoir d’améliorer leur compagnon humain, car dès la soixantième page, l’auteur et son chien sont enfin réunis et l’écriture devient plus fluide et intelligible comme portée par une évidente simplicité qui doit s’accommoder de la présence innocente du jeune chiot, pour le bonheur de tous ! En effet, quelques phrases, au début, laissaient présager des difficultés : « Si aux yeux de beaucoup, l’adoption d’une bête est une interrogation cosmétique comme on barguignerait sur la couleur d’une veste, cette perspective parce qu’elle met en gage autant de moi me remue jusqu’à la nausée et c’est agréable. » (P. 31) J’avoue humblement que je me pose encore des questions sur le sens profond de cet aphorisme …
Nous sommes en 2004, Ubac – tel est son nom (un nom de versant de montagne) – a deux mois et demi et débute treize années de vie commune avec l’auteur. Ce livre "mémoire" ne paraîtra que six ans après sa mort « Ubac est mort en 2017, il a fallu un peu de temps pour que j’envisage d’écrire cette relation, la tristesse et le manque dominaient. Puis est arrivé un moment où j’ai voulu revivre par l’écriture ces moments heureux. J’ai aussi eu le sentiment que si je ne les écrivais pas, certains de ces souvenirs allaient m’échapper définitivement. En fait, j’ai eu envie de passer à nouveau du temps avec Ubac. » Ainsi se justifie Cédric dans les pages de Sud-Ouest en août 2023.
Si l’initiale pour l’année 2004 eut été "A" au lieu du "U" réglementaire il l’eut très certainement appelé "Amour", un nom un peu ridicule pour un chien, peut-être, mais tellement approprié pour celui-là, « Qu’est-ce que l’amour aussi si ce n’est ne plus être seul ? » (P. 137)
Voilà un animal débordant d’amour pour tout et tous, s’émerveillant de tout et même, si un jour de printemps, il a pu se saisir d’une marmotte à moitié réveillée, il l’a immédiatement libérée « ne sachant toujours pas quoi faire de la violence. »
Alors, quand son compagnon humain se trouve une compagne (Mathilde), laquelle tient à faire la connaissance d’Ubac, dont elle a tant entendu parler… Comment pensez-vous que cela se passe, à sa descente du train ? « … j’ouvre vite la porte latérale du fourgon. Ubac en surgit, c’est un sentiment idiot de fierté mais j’en suis là. Mathilde le découvre, sidérée comme s’il était venu cet instant qu’elle réclame depuis ses premières listes au père Noël. Ils se donnent de la patte, de l’accolade et des petits hurlements. Puis ils courent beaucoup et bondissent longtemps sur un terrain de football tout proche. Ils s’en fichent de moi, c’est parfait. » (P. 143)
La vie à trois s’installe, ponctuée par les sorties, les nombreuses promenades dans la nature, Ubac, comme tous les chiens, sait exactement déchiffrer les signes annonciateurs de la balade : les baskets grises pour Cédric sont le signe d’un départ imminent. Où allons-nous ? « Peu lui importe, son adhésion est immédiate, son enthousiasme aussi, un chien ne s’encombre pas d’augurer. » (P. 179)
Mais un chien vieillit sept fois plus vite que son compagnon humain et inévitablement arrive le moment où il faut se quitter, où l’être aimé disparaît. Certains diront « Ce n’est qu’un chien ! » et passeront à autre chose… Je les plains un peu, ces handicapés du cœur, ces handicapés de l’amour, ils n’ont pas vécu ce qu’a vécu Cédric, l’amour indéfectible, inconditionnel, absolu d’un compagnon de tous les instants. Plus qu’un compagnon, un maître à penser.
Cédric n’a aucune honte à avouer qu’en mourant Ubac lui a arraché une partie de lui-même et qu’il lui a fallu plusieurs années pour transformer cette absence en présence supportable. Le temps faisant son œuvre, il l’a déclaré sans ambages « [il] est arrivé un moment où j’ai voulu revivre par l’écriture ces moments heureux. […] En fait, j’ai eu envie de passer à nouveau du temps avec Ubac. »
Alors tout le livre est LE livre souvenirs de leurs vies communes, souvenirs idylliques, souvenirs magnifiés par le temps, l’amour et la tendresse. Ne venez pas dire « Qu’est-ce que ce serait s’il s’agissait d’un enfant ? » Ce serait la même chose. Le cœur de Cédric est assez grand !
Ne négligez surtout pas les deux derniers chapitres ce sont deux lettres ouvertes à Ubac. Et laissez-vous gagner par l’émotion…
Je terminerai ce commentaire comme se termine l’entretien sur Sud-Ouest :
S-O : Les refuges sont pleins à craquer d’animaux abandonnés, quel regard portez-vous sur cette situation ?
« […] C’est amusant que vous me posiez cette question car six ans après la mort d’Ubac, Mathilde et moi avons à nouveau un chien, depuis le 5 août, un petit bâtard, Lulu, que nous avons adopté : ce chien errait dans les rues de Roumanie et a été récupéré et sauvé par une association. »
S-O : Comment se passent les premiers jours avec Lulu ?
« Il a une bonne petite gueule mais il faut le rassurer. Il a très peur du bruit, des voitures notamment. Nous espérons bien lui montrer que tout n’est pas pourri chez les « dominants » que nous, les humains, prétendons être… »
P.S. : Quelques extraits sur la liste Q - FRAGMENTS