Il me faut prendre mes précautions avant d'écrire quelques lignes sur "Soumission", vu la virulence extrême des réactions "anti-Houellebecq", qu'elles viennent d'islamophiles qui accusent le livre d'amalgamer tous les musulmans en un indistinct brouet primitif, ou de jeunes femmes outrées - comme à l'habitude, d'ailleurs - par la misogynie radicale de Houellebecq. Donc je vais préciser que 1) je suis convaincu que Houellebecq est l'auteur le plus important en France, et ce depuis ses débuts retentissants (pas le meilleur écrivain, sans doute, mais celui qui parle avec le plus de pertinence des défis que nous affrontons) - 2) je suis le parfait exemple d'athée soixante-huitard, portant en mon coeur une haine incandescente envers toutes les religions ("l'opium du peuple", qu'il disait), et à ce titre, je ne peux que rêver de la disparition radicale de la bêtise crasse de la religion musulmane - 3) je n'ai jamais lu, à ma grande honte, Huysmans, mais je ne ressens évidemment pas grand intérêt pour la tentation spirituelle. Voilà, c'est dit. Maintenant, sur ces prémisses, je suis prêt à reconnaître que "Soumission" est sans doute le moins bon roman de Houellebecq, peut-être parce qu'il s'est trop pris au jeu de la politique fiction, de l'enracinement de sa fable dans la France politique de 2015, et a parfois perdu de vue son vrai (et unique) sujet : la déprime existentiel de l'occidental blanc, entre misère sexuelle et désintérêt hébété pour les bienfaits du capitalisme tout puissant. Disons que quand il s'y tient, Houellebecq est toujours aussi juste, voire même fort émotionnellement... grâce en particulier à ce style élégant, léger, immensément drôle qu'on lui connaît... et que bien des lecteurs affirment mépriser ("c'est même pas bien écrit !", ragent-ils, alors que c'est tout le contraire, une écriture moderne, souvent irrésistible...). Maintenant, ceux qui disent que "Soumission" est islamophobe n'ont certainement pas lu le livre, qui célèbre - certes un peu ironiquement - l'opportunité offerte par le triomphe politique des Musulmans d'un retour à une société patriarcale et familiale, seule capable de défaire l'abjection et la déshumanisation capitaliste tout en défaisant les "mythes" modernes de l'amour, de la liberté, de l'égalité, en leur substituant une simple mais complète soumission bienheureuse... sans jamais s'apesentir sur les aspects généralement critiqués de l'Islam ! Car en fait, Houellebecq se fout un peu de l'Islam, ce qui l'intéresse, c'est le naufrage européen et la disparition (dans un souffle, avec le sourire, plutôt que dans une explosion) de toutes les valeurs sociales, humanistes, politiques en lesquelles nous croyons (... je crois ! ). Et ce qui fait froid dans le dos dans "Soumission", c'est bien ça : non pas le triomphe de la barbarie rétrograde musulmane, mais bien la perspective de notre fin prochaine. Comme les Romains de l'Empire sous les coups des Chrétiens, nous vivons nos dernières années, nous avertit Houellebecq : lui prend la décision - forcément provocatrice - d'en rire, et d'en tirer tous les avantages matériels possibles. Cela ne fait pas de "Soumission" un grand livre, non - il semble manquer un peu trop de courage et de conviction pour celà -, mais un livre incontournable quand même pour quiconque s'interroge sur nos lendemains. [Critique écrite en 2016]