Ceci n'est pas une caricature
Le dernier roman à forte teneur polémiste de notre Houellebecq national tient-il ses promesses ou est-il simplement un pain de c4 mouillé ? Soumission (Islam dans la langue du prophète) se dévoile comme un récit politico-sociologique avec quelques morceaux de chairs dénudées et des éclats de culture littéraire.
On suit un universitaire prénommé François, incarnation de cynisme et de cérébralité. Comme d'habitue chez MH, son narrateur est froid, dépassionné, masculin et sexuellement actif. Ce détachement sur tout permet de mettre en place un humour cynique des plus efficaces et une critique impitoyable de la société et de ses mœurs.
C'est dans ce contexte d'actualité frémissante que François, prof à la Sorbonne et spécialiste de Huysmans, va suivre, de loin, les convulsions de sa France natale. Sur fond de cinquième république, sclérosée par une gauche et une droite boursouflées et à l'agonie, enlisées dans leurs querelles intestines et leur manque total d'idées et d'initiatives, le parti politique musulman va prendre le pouvoir et islamiser la patrie de Voltaire en douceur. Là où Houellebecq est malin c'est que sa dénonciation de l'islam (surtout) et des autres religions du livre se fait dans le sens du poil (épilé pour l'occasion) avec une bonne dose de lubrifiant. En faisant le choix d'une Fraternité musulmane modérée et consensuelle, il la met au même rang que ses opposants politiques. En parallèle, il décrit les nouvelles orientations politiques du président, sans acrimonie, toujours avec distance, afin de s'adresser à l'intelligence du lecteur et non à son instinct primaire. Il en découle une lecture assez jubilatoire où le lecteur est seul juge car le narrateur se garde bien de charger les plateaux de la balance. Si certains projets semblent logique, d'autres provoquent sourires ou frayeurs. A chacun de graduer à sa guise.
Derrière ce gros morceau politico-social, Houellebecq parle également du couple et du sexe, de la famille et de littérature. Le narrateur, exégèse de Huysmans, va tenter de suivre les traces de son illustre modèle afin de mieux le comprendre et d'accomplir son grand oeuvre intellectuel. François va croiser une galerie idéale de personnages qui vont l'aider dans ses choix et le guider dans sa démarche. Une amante étudiante juive, un ancien des RG, une rectrice d'université, un père éjectable, un éditeur littéraire converti... toute cette pléiade de seconds rôles apporte sa pierre à l'édifice, peut-être un peu trop parfaitement. Il n'y a guère de surprise dans la vie de François, lui qui bande mécaniquement pour montrer que seul l'intellect le guide encore et non plus la passion.
Souvent brillant dans ses démonstrations, parfois pédant dans ses anecdotes érudites, Houellebecq dresse, une fois encore, un tableau peu reluisant de notre société. Ses analyses sont piquantes, ses portraits incisifs, son écriture habile et son style direct. Il montre encore pourquoi il est un auteur populaire, qui flatte le lecteur en s'adressant à son intelligence et sa culture sans être abscons ou élitiste. La soumission du titre ne renvoie pas seulement à celle de l'islam mais aussi au refus d'une certaine littérature populaire qui refuse de se soumettre à sa cousine qui trône en tête de gondole dans les supermarchés. Se divertir et s'instruire ne sont pas incompatibles.