Attention danger… à plusieurs niveaux c’est le sentiment que m’a laissé ce roman. Une sensation inconfortable de se faire avoir. Comme un arrière-goût amer de s’être laissée aller vers une certaine complaisance.
C’est une fiction, certes, une projection imaginée de l’évolution du monde politique et du modèle social français. Mais c’est une projection très structurée, à court terme, qui s’appuie sur une analyse plutôt réaliste et pertinente de la situation actuelle. La laïcité, les religions judéo-chrétiennes, l’humanisme, les partis politiques traditionnels ont échoué à créer de solides valeurs morales et à dynamiser l’économie. Houellebecq propose l’évolution vers une république islamique comme la voie du renouveau de la France moderne et d’une grande Europe puissante ; le nouveau leader est un homme d’état brillant, au discours apaisant, tolérant et rassembleur, et qui arrive au pouvoir légitimement par la voie des urnes.
Le malaise vient du fait que, d’une certaine façon, la lecture est facile, les choix sont justifiés, les interprétations sont raisonnables. Le malaise naît aussi du personnage central, cet universitaire littéraire parisien désenchanté et solitaire, que n’excitent que les joutes intellectuelles, les plaisirs de bouche et le sexe. Cet antihéros reflète le côté lugubre de Houellebecq que l’on retrouve dans ses romans, un individu en misère affective et à la socialisation passive. Il m’a encore fait penser au Meursault de Camus… Peut-être aussi cet antihéros reflète-t-il le mystère Houellebecq, car il pose quand même les questions qui dérangent (l’exclusion et l’infériorisation des femmes, la conversion obligatoire, la domination d’une élite …) tout en ne se fâchant jamais, sans prendre position et suivant finalement chaque opportunité.
Il ne faut pas lire trop vite. Prendre le temps d’assimiler chaque enchaînement pour voir surgir une zone trouble, une opposition ou un dégoût. C’est effectivement un roman ambigu, provocant mais intelligent et subtil. Houellebecq ironise peut-être parfois... En tout cas au moins son personnage termine en projetant au conditionnel ses perspectives de vie.