« Sous le Soleil de Satan » ou pourquoi pas « Dans la nuit de Dieu », quels titres ! Oxymores délicieux ! Attrait pour le religieux, curiosité pour l’agnostique, mépris pour l’athée. On y présage le combat ancestral de la lumière et de la noirceur tant de fois renouvelé, remanié, ressassé jusqu’à plus soif. On y découvre l’univers intérieur de personnages tourmentés à l’extrême par cette lutte sans merci avec leur moi profond, duperie du bien, veulerie du mal, perte des repères quand l’âme ne sait plus qui est Dieu qui est Satan. Seulement voilà, le message ne se livre pas facilement. Bernanos tisse des volutes étranges, sortes de circonvolutions sibyllines au creux desquelles on peut se sentir démuni, perdu tel le séide Donissan qui lutte avec opiniâtreté pour percer le secret des saintes écritures. Souvent revenir, relire la phrase quand ce n’est pas le paragraphe. Trois, quatre fois reprendre, s’arrêter, réfléchir, plonger dans les mots, les observer longtemps pour essayer d’en extraire le suc à la manière d’une fourmi tirant le miellat de son puceron. Alors l’esprit miné, comme atteint par un trouble intangible, voit des lettres qui commencent à danser. Faites d’une matière ectoplasmique elles prennent corps autour du lecteur qu’elles envahissent d’énigmes insolubles. Cette brume opaque floute les personnages mais heureusement pas les lieux. Beauté des campagnes mornes, champs tristes et vagues percés de chemins bourbeux joignant quelque route de cailloux improbable vers les villages gris de cette intrigue philosophale à travers une nuit d’encre. Et puis l’église brillante et sombre debout comme une menace qui s’intensifie par les fenêtres de la conscience, comme une caresse qui se dévoile dans le calme d’un presbytère, comme un abri peuplé des monstres de la pensée. L’église immense paquebot flottant malgré les avanies au sein d’un océan de vide corrompu où viennent s’échouer les tristes exactions, les cris, la fatuité et la souffrance mais surtout les questions sans réponse et la gangrène de l’impuissance.
La foi est un décor, les soutanes des costumes, le conte un prétexte, la sainteté un mirage…et Satan ?
Cette brume s’insinue par les oreilles jusqu’au lobe frontal du cerveau, siège des raisonnements complexes et des choix cornéliens pourtant sans importance pour y former une pate collante qui englue les rouages et corrompt la pensée. Plusieurs fois on pourrait décider que ce texte elliptique ne mérite pas plus d’attention, que l’on pourrait poser l’ouvrage et que cette histoire de sainteté, combat du bien et du mal au cœur de l’homme incarné par un prêtre trop pur, prose d’un autre temps, détestation vaine du pêché, élucubrations ecclésiastiques, dialogues lugubres entre clercs ne peut s’adresser à un profane. Chacun fera son chemin à travers les pages, ce scénario inattendu et ses questionnements en luttant pied à pied avec le texte mais sans aucun doute la conclusion terrible s’imposera comme une lumière noire.