Sous le soleil de Satan est le premier roman de Georges Bernanos, un auteur qu'on oublie parfois parmi les grands novateurs de la première moitié du XXeme, et dont je suis surpris de n'en avoir eu connaissance que si tard dans ma vie. Il a fallu l'immense film de Maurice Pialat pour me donner l'envie de lire le texte original de cet ogre réactionnaire de la littérature. J'en sors bouleversé, ce livre vous remue les profondeurs, même si Dieu n'habite que fugacement votre existence, au détour d'un questionnement occasionnel. Pour ma part, la mystique chrétienne me fascine et elle me fascine d'autant plus à la sortie de ce livre dont je n'étais pas préparé à l'effet qu'il aurait sur moi. J'attendais ce livre depuis longtemps.
La grande force du livre c'est avant tout la puissance de l'écriture de Bernanos dont on est persuadé qu'elle peut aisément déplacer des montagnes. C'est cette rage énorme subtilement mariée à une profonde sensibilité tragique qui nous porte pendant toute notre lecture. Bernanos nous en fout plein la figure, il nous jette dans la boue de notre ignorance et de notre condition misérable, mais il nous tend également la main pour en sortir, là où Céline nous y laisserait crassement pourrir. Bernanos c'est un peu notre Virgile du monde moderne, celui qui nous propose de descendre avec lui dans les ténèbres démoniaques qui habitent chacun de nous. Et il n'a pas besoin d'aller bien loin, le Diable se cache dans les détails : dans le coeur d'une jeunesse trop sûre d'elle, sous le chapeau d'un brave homme rencontré en chemin et devant qui on baisse la garde. Satan habite les gens simples comme les plus éminents, les pauvres fermiers comme les marquis, les médecins, et les pauvres abbés qui ne savent comment livrer ce combat sous les yeux de leur Seigneur trop souvent muet. Et dans le néant jaillit la lumière, l'étincelle fuyante qui depuis le Fiat Lux jusqu'à la discrète résurrection d'un pauvre petit enfant nous relie à la grande question du Salut, au message du Christ que Dieu n'a pas hésité à sacrifier pour nos fautes.
Sous le soleil de Satan se révèle petit à petit à son lecteur. Il prend d'abord l'allure d'un drame social derrière lequel couve la transcendance et les forces surnaturelles tapies au fond de la vie intérieure, inaccessible à l'entourage. Mais Dieu voit tout et rien non plus n'échappe à son ange déchu. Alors éclate l'enjeu du roman : dénoncer les travers et l'arrogance de l'homme moderne qui s'est permis d'oublier Dieu, pensant prendre sa place. Il faudra des figures fragiles et sincères pétries par le doute pour montrer à cette humanité que derrière son impression de liberté, c'est la volonté de Satan qui s'exprime, que dans nos décisions où s'absente la pensée, c'est son plan qui s'exécute.