Le Bon Dieu ne m'a pas mis une plume entre les mains pour rigoler
Et visiblement ni pour caresser le lecteur dans le sens du poil, le fond de l'oeuvre de Georges Bernanos est ténébreux, sa prose est ténébreuse, son message est ténébreux. Cet auteur, visiblement, ne se laisse pas prendre facilement, ne laisse pas prendre tout court. Je dois avouer que j'ai rarement ressenti autant d'impuissance devant un écrivain ; c'est une sensation trop abstraite pour que je puisse l'exprimer avec des mots.
Mais comment pourrait-il en être autrement d'un homme qui, malgré une vie matérielle parfois précaire, a dit non à de Gaulle, a dit non à la Légion d'honneur et a dit à propos d'une éventuelle entrée à l'Académie française qui lui faisait les yeux doux
Quand je n'aurai plus qu'une paire de fesses pour penser, j'irai
l'asseoir à l'Académie
Un incorruptible qui ne peut que m'être sympathique à moi qui ne le suis pas, médiocre que je suis.
Premier roman, Sous le Soleil de Satan, vraiment pas facile, doux euphémisme. Je ne pense pas avoir saisi parfaitement le propos, est-ce qu'en fait ce n'est pas principalement le Seigneur, mais bel et bien Satan qui est surtout à nos côtés ? Qu'on est constamment sous son soleil ? Que non, pas besoin d'holocaustes et de massacres pour dire qu'il s'est manifesté, mais qu'en fait il est partout, derrière la plupart de nos gestes quotidiens ?
Veux-tu que je te dise ? Je vous baise tous, veillants ou endormis,
morts ou vivants. Voilà la vérité. Mes délices sont d’être avec vous,
petits hommes-dieux, singulières, singulières, si singulières
créatures ! A parler franc, je vous quitte peu. Vous me portez dans
votre chair obscure, moi dont la lumière fut l’essence –dans le triple
recès de vos tripes –moi, Lucifer…
Voilà ce que j'ai saisi, mais j'avoue que les voies de Bernanos étant ténébreuses je peux faire un contresens ; je me demande s'il n'en a pas fait un peu exprès d'ailleurs, se forçant un peu à aller dans les ténèbres pour bien nous y perdre à tous les points de vue. En tous les cas, il a bien su faire passer ce message (pas extrait du roman pour le coup, mais venant de ce cher Baudelaire !) :
La plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu'il n'existe
pas.
Quelques magnifiques instants de grâce, parce qu'une prose ténébreuse ne veut pas dire, au contraire, une prose qui ne soit pas belle et d'une grande justesse (j'adore la citation qui va suivre, elle est tellement vraie !).
Pour beaucoup de niais vaniteux que la vie déçoit, la famille reste
une institution nécessaire, puisqu'elle met à leur disposition, et
comme à portée de la main, un petit nombre d'êtres faibles que le plus
lâche peut effrayer.
En résumé, une première rencontre avec cet écrivain au caractère véritablement atypique dont je serais incapable de dire précisément ce que j'en ai pensé. Toujours est-il que je compte creuser un peu en lisant dans un avenir pas trop lointain Journal d'un curé de campagne et Nouvelle histoire de Mouchette. Peut-être qu'à travers ces lectures, je comprendrais mieux c'est quoi Georges Bernanos.