Souvenirs d'un pas grand chose ou le récit d'un homme qui a connu beaucoup de choses parce qu'il n'avait rien.

Il a connu le dégoût de soi et le caractère aléatoire de la laideur, le visage mutilé par des furoncles incessants.
Il a connu la misère du désir, voyant les filles sur lesquelles il avait les yeux rivés enjamber les portières des voitures des gosses de riches. Il a connu la violence de la rue, où le seul moyen pour ne pas se heurter à des coups est d'adopter une attitude froide et agressive. Il a connu la bizarrerie d'être étranger à son toit, avec un père exigeant de lui par le cuir à rasoir une réussite qu'il n'a pu obtenir lui-même. Il a connu l'excitante brûlure de l'écriture, enfermé chez lui et n'ayant rien d'autre à faire. Il a connu l'ivresse de la boisson, seul véritable rempart face à son malaise social et son incompréhension du monde extérieur.

Consumé par la peur, la rage et la tristesse, que faire sinon en rire? C'est avec une ironie détonante que Bukowski partage son vécu. Claquante comme un crochet du gauche, elle nous force malgré nous à glousser dans des situations où des larmes seraient plus appropriées. La plume de l'auteur est un voyage où le lecteur s'installe avec lui sur la banquette d'un bar mal famé et écoute ce qu'il a à raconter. Elle met instantanément à l'aise. Ses frasques, nombreuses et extraordinaires, rappellent à un moment ou à un autre les épreuves que le liseur a lui aussi pu traverser.

Et pour cause, Bukowski parle à tout le monde. Fond du collier, il n'arbore aucun masque. Tout est authentique. Il a été de ceux qui fantasmaient sur les culottes des maîtresses d'école. Il a été de ceux qui ont laissés sur le carreau des âmes en peine afin de se préserver. Il a été de ceux qui débagoulent sur le système et qui veulent en faire le moins possible pour l'achever. Il a été de ceux qui trouvent que les apparentes joies de l'existence n'ont aucun intérêt.

Ses pages réfutent la candeur. Elles ajoutent que si l'erreur est humaine, un humain peut l'être aussi. Elles susurrent que la vie est comme un premier match de boxe : les deux opposants ne savent pas ce qu'ils valent mais doivent se battre.

Lui, s'est de toute évidence bien débrouillé : après plus de 10 relectures, les ricanements involontaires et la fierté d'être un infréquentable ne cicatrisent pas. Chef d'oeuvre.
JulianDesjardin
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Top 10 Livres

Créée

le 3 sept. 2013

Critique lue 646 fois

7 j'aime

JulianDesjardin

Écrit par

Critique lue 646 fois

7

D'autres avis sur Souvenirs d'un pas grand-chose

Souvenirs d'un pas grand-chose
Pravda
10

Ces souvenirs, c'est quelque-chose pourtant.

Ce livre est un tord-boyau. C'est âpre, dur, souvent dégueulasse mais il en reste une sensation de chaleur et on finit enivré par les paroles de ce pas grand-chose de Bukowski. Il conte ici, ou...

le 17 janv. 2014

28 j'aime

9

Souvenirs d'un pas grand-chose
Stavroguiness
9

Bildungsroman

Comme tous ces autres romans, Bukowski raconte sa vie au travers de son alter-ego, Henry Chinaski, sauf qu'il s'attaque cette fois-ci à une période de sa vie un peu différente, puisqu'il s'agit de...

le 24 mai 2012

13 j'aime

Souvenirs d'un pas grand-chose
chinaskibuk
10

Enfance, souffrance, adolescence et déliquescence...

Un éclaireur avisé m'a donné envie de le relire, merci Fantski : "Ham on rye". Non traduisible en français mais parfaitement titré par Brice Matthieussent. Les premiers souvenirs remontent alors...

le 10 sept. 2019

12 j'aime

2

Du même critique

Immunity
JulianDesjardin
10

Invincible.

Une fois assoupi, l'arbitraire des chimères du sommeil fait son office. Il fait jaillir dans la tête de l'endormi, du bon ou du mauvais. Il ne lui demande pas son avis. Il le laisse désorienté...

le 3 sept. 2013

18 j'aime

2

6 Feet Deep
JulianDesjardin
8

Éloge funèbre.

En 1994, Biggie Smalls se dit prêt à mourir tandis que Common attend sa résurrection. Des souhaits qu'auraient pu exaucer sans difficultés la clique démoniaque de Gravediggaz. Ils ne rappent pas sur...

le 6 sept. 2013

13 j'aime

2

L'Étranger
JulianDesjardin
8

Etranger, oui, mais pour qui?

Pour le monde qui l'entoure, Meursault semble être un étranger. Il est perçu comme un être bizarre, taciturne et insensible. Une personnalité intrigante qui va d'abord lui attirer quelques amitiés...

le 24 sept. 2013

9 j'aime

1