Mon livre préféré des Strougatski à ce jour.

Harmont, Etats-Unis, mais aussi la Sibérie orientale et l'Ouganda. Des extra-terrestres ont atterri sur Terre, ont fait de nombreux morts, puis sont repartis. Dans les zones d'atterrissages, bien que l'on ne décèle aucune radiation étrange, des événements curieux, voire aberrants, se passent, si bien que l'armée les décrète zone interdite. Seuls des scientifiques ont le droit d'étudier les curieux objets que l'on en ramène, comme les "creuses", deux disques métalliques qui restent à équidistance, maintenus par une force inconnue. Mais des passeurs, ou "stalkers", sont prêts à risquer leur vie, en évitant les soldats et les dangers de la Zone, pour de l'argent.

Le livre suit la vie quotidienne des gens habitant non loin de la Zone d'Harmont. La première partie suit Redrick Shouhart, jeune laborantin de 23 ans, qui fait en fait le stalker occasionnel. Il accompagne un savant russe, Kirill, qui veut chercher une "creuse" remplie d'une matière bleue. Mais Kirill meurt d'avoir touché, sans s'en rendre compte, une sorte de toile d'araignée que Redrick voyait mais pas lui. Dégouté, Redrick quitte le boulot. Sa femme Gouta annonce qu'elle est enceinte.

Dans la deuxième partie, Redrick a 28 ans. Au chômage, Redrick est stalker à plein temps. Il sauve un vieux stalker des débuts, une ordure surnommée Charognard Barbridge, qui lui parle d'une boule dorée. Il ramène le butin de Charognard auprès de ses employeurs, qui semblent haut placés et soucieux de rester dans l'ombre. Lorsqu'il apprend que les flics vont l'arrêter, il les recontacte et leur donne l'emplacement d'un conteneur en céramique qui semble contenir quelque chose de précieux (de la "gelée de sorcière" ?), en échange du fait qu'ils entretiennent sa femme le temps de son incarcération.

Dans la troisième partie, on suit Richard Nounane, un gros malin qui ne s'est jamais aventuré dans la Zone mais qui a longtemps fait l'intermédiaire entre les stalkers et les acheteurs, avant de devenir "représentant en matériel électronique". Cette partie est la plus explicative. On comprend que certains artefacts de la Zone sont utilisés désormais dans la vie de tous les jours, notamment des "batteries", source inusable d'énergie qui se reproduit par scissiparité. Les stalkers sont en voie de disparition depuis que les scientifiques envoient des robots, mais Nounane enquête, car apparemment Charognard parvient à voler de grandes quantités d'artefacts à son nez et à sa barbe (un mystère que le livre ne résoudra pas). Une grande partie du chapitre consiste en une discussion, ou plutôt un long exposé du Prix Nobel Valentin Pilman sur les mystères de la Zone. Pilman émet une hypothèse qui donne son sens au titre russe : les extraterrestres se sont simplement arrêtés pour pique-niquer en laissant des détritus derrière eux, et nous sommes comme des fourmis qui tomberaient sur les miracles de leur science, et les utiliseraient sans les comprendre. On apprend aussi que certains morts sont revenus à la vie et mènent une existence végétative auprès de leurs proches. Nounane va rendre visite à Redrick et lui demande des infos sur Charognard. La fille de Redrick, Ouistiti, née velue, a perdu l'usage de la parole. Des bruits courent que ces enfants de la Zone mutiques espionnent pour les extraterrestres...

Enfin, la quatrième partie revient sur Redrick. Au bout du rouleau, il a emmené avec lui le fils de Charognard, Arthur Barbridge, pour la plongée la plus dangereuse qu'il ait jamais fait dans la Zone. Charognard, sur son lit de mort, a confié à Redrick la carte qui permet d'atteindre la Boule d'or. Un mythe parmi les stalkers, un objet dont on dit qu'il exauce les souhaits. Au terme de ce long trek, Arthur se fait supprimer par la Boule en l'approchant, mais Redrick semble y arriver mieux. Le récit s'interrompt alors qu'il est à deux doigts de toucher l'objet en formulant, dans un état second, des voeux de paix pour l'Humanité.

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Ce résumé sommaire ne rend absolument pas hommage à l'ambiance incroyable de ce roman. On notera tout d'abord que, contrairement au film de Tarkovsky, il est question ici d'extraterrestres et non de catastrophe nucléaire (le roman a été écrit avant même l'accident nucléaire de Three Miles Island.

Ambiance incroyable, donc, avec ce monde où la science est impuissante face à des événements imprévisibles, et que le pouvoir politique semble impuissant, les rapports de personne à personne et les rumeurs prévalant. On retrouve ce que Tarkovsky a bien rendu à propos de la Zone : le fait que le moindre déplacement est très complexe, que le danger peut arriver de n'importe où, qu'il vaut mieux semer des boulons pour tester le chemin. On apprend peu à peu à comprendre cet argot des stalkers, et l'on comprend souvent seulement à moitié ce qui se passe. Avec ces "calvities de moustique", ces zones où la gravité est modifiée de manière aberrante et dangereuse, cette "gelée de sorcière", matière qui semble si terrifiante (elle semble rendre les membres mous comme du caoutchouc, entre autres), le "duvet brûlant", qui semble être une nuée ardente à l'itinéraire erratique. Cette "usine", entrepôt dans lequel un engin extraterrestre continue à faire du bruit, sans que personne n'arrive à en approcher vivant pour l'étudier.

Les treks dans la Zone ne sont pas la majeure partie du livre. Ce qui compte, ce sont les moments où les personnages, revenus au Bortsch, le bar du coin avec son patron véreux, ou bien rentrés dans leur famille, échangent des rumeurs sur la Zone, boivent pour oublier, etc... L'argot est assez présent, ce qui valut des problèmes aux Strougatski. Comme l'explique Boris dans une postface, "Stalker" mit en effet 20 ans à être publié car 1 - les deux frères étaient tombés en disgrâce et 2 - les apparatchiks partaient du principe que la SF était une littérature pour la jeunesse, et ne comprenaient pas pourquoi il y avait autant de vulgarité.

"Stalker" est indéniablement un classique, que je range bien haut à côté des meilleurs Stanislas Lem, genre "L'invincible".
zardoz6704
9
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le 11 nov. 2014

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zardoz6704

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