Sans doute la mention Parental advisory - Explicit content serait-il à propos pour cet ouvrage publié par les peu conformistes (et donc réjouissantes) éditions Goutte d'or.


On sait ici le goût que j'ai pour l'un des auteurs de ce feel good irresponsable, à savoir Johann Zarca  (dont j'avais tant aimé Paname underground). Il écrit ici à 4 mains avec Romain Ternaux une fiction que je pourrais résumer de la formule suivante : une drôle de descente aux enfers.


Bien sûr, moins le lecteur en sait en entrant dans ce roman, plus grande sera sa surprise à la découverte de ces pages décoiffantes dont l'efficacité tient à plusieurs éléments : un cadre de départ qui fait la part belle à l'humour (un conseil de classe au cours duquel la prof de français explose les bien-pensants qui l'entourent), un sens des dialogues très malin, une grande fluidité narrative et un rythme qui ne ralentit jamais. En somme, dès les premières pages, ce roman prouve son caractère à la fois addictif et abouti.


Les auteurs ont utilisé un procédé classique mais redoutable en comédie : placer un anti héros dans une situation inattendue qui va venir bouleverser ses habitudes, le confronter à ses principes et le(s) mettre à l'épreuve. En l'occurrence, c'est d'anti-héroïne qu'il sera question avec le personnage principal d'Anna Jocelin, terne prof de français coincée et psychorigide, sentimentalement désespérée et relativement misanthrope.


La vie est faite de rencontres et, dans cette tragi-comédie contemporaine, le fatum s'incarne soudain en Carine, une vieille pote de lycée qu'Anna croise par hasard en allant un soir faire ses courses le pas traînant. Au départ, cette dernière n'a aucune envie de se lier à nouveau à cette jeune femme qu'elle a toujours considérée comme une junkie paumée. Le discours intérieur d'Anna, en lutte avec la nécessaire hypocrisie sociale, sont autant d'apartés théâtraux très savoureux pour le lecteur.


Comme dans Paname underground, on retrouve un personnage qui confie des ambitions littéraires et romanesques. Ainsi de Zarca que l'on voit en train de rédiger son guide, et d'Anna ici qui trouve finalement la recette miracle pour écrire enfin. Dans les deux cas, l'écriture est en train de s'écrire et ce métatexte mêle avec brio réalité et fiction qui s'interpénètrent et enclenchent une vaste réflexion sur l'acte créatif. Ainsi de l'histoire de Pépé Gontran qui se nourrit et s'inspire de celle de Pépé Roger, ou le quotidien du collège Cahn qui sert de source au deuxième roman d'Anna.


Spoiler serait un crime, mais il faut toutefois donner quelques éléments afin de susciter l'envie. Je dirais donc que la vie d'Anna va soudain basculer, que d'aigrie elle va devenir exaltée et que sa misanthropie se muera en altruisme (entre autres mutations manifestes). Le personnage de la page 311 n'a pas grand chose à voir avec celui du début et, en ce sens, on peut voir Success story comme un anti-roman d'apprentissage - au titre d'ailleurs fortement ironique.


Difficile de ne pas porter un jugement moral sur les agissements des personnages. Leur laxisme absolu quant aux pratiques relayées pourrait confiner au prosélytisme et, si les auteurs font sans doute confiance à l'esprit critique des lecteurs pour ne pas reproduire tout cela chez eux, le joyeux angélisme qu'ils insufflent à ce récit demeure un tantinet ambigu. (Euphémisme)


J'étais en pleine lecture du dernier Houellebecq quand j'ai décidé de faire une pause détente avec Success story - néanmoins je trouve de nombreux échos entre ces deux oeuvres. Ne serait-ce que parce qu'il est question dans les deux romans de cette sérotonine chère à l'épanouissement humain, clé de sa joie et le ses appétits de vie. Florent-Claude, tout comme la bande délurée de Zarca et Ternaux, sont tous des individus dont l'équilibre repose sur des artifices (Captorix pour l'un, cocktails explosifs pour les autres).


Dans ces deux romans, la part belle est offerte à un discours subversif qui envoie bouler la bien-pensance, la raison, la santé, les recommandations morales etc. Chez Houellebecq comme chez Zarca et Ternaux, les personnages n'ont que faire de ce que la société pensera de leurs choix.


Pour chacun d'eux aussi, la fin justifie les moyens - surtout chez Zarca et Ternaux. Ayant trouvé la solution à tous ses maux (timidité, maladresse, manque d'ambition ou d'argent, fatigue, problèmes d'imagination), le personnage en oublie les points négatifs du moteur qui le tient en vie. Toute à son aveuglement et aux réussites de sa nouvelle vie, Anna est comme tout drogué en début de carrière : heureuse et fière de l'être (et, en plus, encouragée par un entourage qui l'entraîne dans sa ronde gaiement artificielle).


Toutefois, la dernière scène jette une lumière nouvelle sur le roman et appelle un volet romanesque de plus. Un volet qui viendrait apporter des réserves ou un contrepoint à la déferlante d'endorphines de Success story (à quel prix, d'ailleurs..)


Zarca et Ternaux ont ainsi donné naissance à une comédie au fond grinçante, peuplée de personnages irresponsables, inconséquents, immatures exclusivement guidés par la jouissance de l'instant, au mépris de toutes les règles de sauvegarde individuelle. Derrière la peinture joviale et légère se cachent d'amères vérités que l'humour des auteurs ne saurait masquer. Quel est le coût de l'extase ? Il serait facile d'imaginer l'envers du décor de ce feel good de façade, de cette comédie provisoire. Au lecteur d'être assez éclairé pour faire la part des choses.


Néanmoins, d'un point de vue purement romanesque, ce livre est une vraie réussite, au rythme échevelé qui interroge la société à de nombreux égards : vie des aînés dans les EHPAD, problèmes de discipline dans les collèges, médiocrité du corps enseignant  (qui n'est pas sans rappeler Entre les murs), médias prompts à s'emballer pour la dernière coqueluche.. Les auteurs pointent également la faiblesse humaine pour la réussite matérielle et la reconnaissance.


Ce roman pose en fait la (faustienne!) question suivante : est-on prêt à vendre son âme pour accéder à la gloire ?


De la même manière que Paname underground (qui donnait un grand coup de pied dans la fourmilière bien-pensante et moralisatrice aux diktats hygiénistes multipliant les interdits), Success story (titre anglais encore , comme révélant une forme d'américanisation de la société française) est encore un récit qui prend un malin plaisir à choquer le lecteur.


Toutefois, là où le premier dressait un tableau repoussant des milieux extrêmes et de la consommation de drogues, le deuxième traite les choses de manière beaucoup plus enjouée - c'est sans doute là le caractère à la fois jubilatoire et problématique du récit.


A l'instar de certains réalisateurs qui aiment s'ingérer discrètement dans leurs oeuvres, les deux comparses écrivains émaillent leur texte de clins d'oeil à eux-mêmes ou à leur maison d'édition (le boulanger porte le nom d'un des fondateurs des éditions Goutte d'or ; lors d'une interview, Anna recommande de lire Zarca et Ternaux).


Politiquement incorrect (c'est peu de le dire), déjanté, porté par un rythme ébouriffant, Success story est un récit corrosif et subversif propre à scandaliser le bien-pensant mais à réjouir ceux qui aiment que la littérature s'autorise tous les excès - soit, au fond, l'un des derniers bastions de la liberté absolue.


Jouissif et 100% transgressif, Success story est un roman convivial - chaleureux comme un rail of light.

BrunePlatine
8
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le 12 mars 2019

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