Le premier roman, c'est la vie d'Irène Némirovsky, de sa famille fuyant la révolution bolchevique jusqu'à sa tragique mort à Auschwitz.
Le deuxième roman, c'est bien sûr le destin de ce manuscrit inachevé, transporté dans une valise par deux fillettes poursuivies par la gendarmerie française, avide de les livrer aux nazis, finalement édité une soixantaine d'années plus tard.
Et, bien sûr, il y a ces deux parties achevées, qui montrent l'ambition de Suite française, de devenir une chronique de la guerre en direct. La première, tempête en juin, raconte l'exode des français fuyant la capitale, relation satirique dans l'ensemble, fustigeant les travers de la société avec quelques portraits admirablement campés, n'oubliant pas la dignité dans les personnages des Michaud.
La seconde ressert le roman choral et la géographie autour d'un petit village occupé, ébauchant des pistes romanesques, ainsi que sur la résistance ou la collaboration, qui se seraient très certainement développées dans les parties ultérieures. Irène Némirovsky montre dans ces deux parties une acuité de regard et une lucidité qui, à l'époque, n'allait certainement pas de soi.
Concernant l'absence de la question juive, qui a tant fait gloser, il y a tout de même ceci à en dire. Il n'y a pas de doute à avoir sur l'opinion d'Irène Némirovsky sur la question juive, et son baptême est manifestement plus affaire d'opinion que de stratégie. Simplement, en ces temps d'occupation et de dérive pétainiste, il eût été aisé de croquer des personnages juifs dans la plus pure des traditions antisémites, tandis que le fait de présenter des juifs de manière positive ne laissait aucune chance qu'un éditeur accepte le manuscrit. Le fait même qu'Irène Némirovsky choisisse de ne pas en parler est dès lors à mettre à son crédit.