Jim est un looser.
Père de deux jeunes enfants, Tracy et Roy, il n'est jamais parvenu à réfréner ses désirs sexuels, qui l'ont porté de femme en femme, d'échec sentimental en échec sentimental, et donc, fort logiquement, de ville en ville. On ne peut pas dire qu'il ait eu beaucoup plus de réussite dans sa vie personnelle : un temps dentiste, il a décroché sa plaque pour monter une entreprise de pêche en mer avec son frère, puis, après leur faillite, a fait de petits boulots ici ou là. Il n'a cependant jamais été très loin. Car son coin à lui, c'est l'Alaska profonde : Fairbanks, Ketchikan... Guère plus d'une dizaine de degrés au dessus de zero l'été, franchement beaucoup moins l'hiver. Baraques en bois entre préfabriqué et chalet suisse (plutôt versant préfabriqué). Pêche, chasse, étendues sauvages mais désertiques. Et un peu d'alcool de temps en temps ?...
Mais Jim a décidé de repartir du bon pied. Il va reprendre son destin en main en se retirant pendant une année sur une île sauvage du Pacifique Nord en compagnie de son fils de 13 ans pour s'isoler de ses démons, pour réapprendre à vivre, pour refaire la connaissance de Roy...
Seulement, tout ne va pas se passer comme il l'espérait. La vie sauvage, c'est dur. Et l'homme moderne n'y est pas adapté. Etre père, n'est pas évident non plus. Surtout quand on ne connait pas même les rudiments de la fonction. Retrouver la sérénité, oublier le monde, surtout, sont parfois impossible. En tous cas, pour Jim.
Sukkwan island est une île immense, sauvage, isolée, recélant de poissons frétillants et se couvrant d'un délicat manteau neigeux l'hiver venu. Un coin de paradis où l'on rêverait tous de se mettre au vert un été durant ou de passer un Noël en famille, coupés de tout et de tous.
A travers le regard et les monologues de ses personnages, Roy, l'adolescent, et Jim le père, filtres corrompus par la nature humaine, David Vann parvient pourtant à transformer tous ces éléments au fort potentiel d'émerveillement en d'effroyables sujets de malaise et d'angoisse. Les forêts verdoyantes apparaissent vite comme des réservoirs de menaces inconnues. La nature sauvage est avare de bienfaits mais distribue les déboires avec largesse. La faim, la peur, l'épuisement, la colère deviennent les émotions du quotidien. Le choc de l'océan sur les rochers, le hurlement du vent, le crissement de la neige tiennent lieu de silence... C'est pesant. C'est asphyxiant. Et c'est brillant.
Seule la fin du roman, qui la ramène dans les sentiers battus du roman américain contemporain que je n'affectionne guère m'a un peu déçu. Quel besoin avait Vann de chercher à justifier tout ça ? rien de suffisant pourtant pour gâcher la forte impression laissée par les pages précédentes.