Ce nouveau roman de Carole Fives, tout en légèreté, réussit à parler de l'histoire de l'art, de la question de la peinture dans l'art contemporain, à travers le parcours de trois amis étudiants aux Beaux-Arts de Lille en 2004 - dont la narratrice, qui glissera de la peinture à la littérature exactement comme l'a fait Carole Fives elle-même dans la vie. Avec ses deux amis, Luc, qui deviendra célèbre, et Lucie, plus conceptuelle, elle forme un groupe qui défend dans l'école l'importance de la peinture, alors que les autres élèves et les professeurs les encouragent à s'en détourner.
La romancière a pris soin, en adoptant une forme fluide, faite de paragraphes courts et de dialogues mordants, de ne jamais verser dans le didactisme, alors qu'elle parvient à y faire entrer de vrais cours d'histoire de l'art, mine de rien, qui permettent d'insérer dans ce roman une petite introduction très synthétique à l'art contemporain international, sans qu'on ait l'impression d'aller à l'école.
Les relations entre ces trois personnages principaux, très vivantes, animent un roman que l'on présume -pour une part au moins- assez autofictif, et le récit se lit d'une traite. Les différentes créations des étudiant.es, parfois très trashs, sont souvent amusantes et l'on comprend que ces années d'études doivent laisser des souvenirs assez inoubliables.
Carole Fives met en scène des élèves, aux trois quarts des filles, qui se révoltent contre leur professeur d'histoire de l'art, parce qu'il ne leur parle que d'hommes pour leur retracer ce qui lui semble constituer les étapes essentielles de l'histoire de l'art. Atteint par leurs arguments, il leur laisse la parole et elles parlent des artistes femmes qui ont marqué l'histoire récente. Moi qui poursuis exactement le même combat dans l'enseignement de la littérature, pour que les autrices aient enfin leur place dans les manuels, et dans les programmes des examens, j'ai été très touchée par le fait de retrouver le même débat, la même révolte dans une fiction, et la trace d'un changement en train de se faire dans ce domaine aussi. On retrouve ainsi dans ce roman l'ADN féministe de Carole Fives, que l'on pouvait trouver notamment dans l'histoire de la mère célibataire de "Tenir jusqu'à l'aube", appliquée ici à la culture, mais aussi aux relations professeurs/élèves.
De plus, je l'avoue, j'avais un intérêt tout personnel à lire ce roman: il se trouve que ma fille aînée vient de réussir le concours d'entrée dans une école des Beaux-Arts en province, et que les questions qui se posent dans le roman, telles que: que faire de ces études? peut-on espérer devenir artiste? A quoi cela sert-il encore de peindre aujourd'hui ? sont des questions que nous nous posons précisément en famille en ce moment... A cet égard, Carole Fives montre que les réponses ne sont pas simples, mais que l'horizon reste ouvert...