J'aurais adoré adorer ce livre. Carole Fives met en scène le parcours aux Beaux-Arts de trois étudiants, surnommés par leurs camarades moqueurs "les Térébenthine" à cause de leur art, la peinture, complètement en disgrâce dans le champ artistique au tournant des années 2000. L'auteure raconte le parcours de résistance, ou de compromission, de trois jeunes artistes, seuls face à l'institution qu'est l'École, incarnée dans ses Professeurs indifférents ou méprisants, et face aux pairs.
Sur le fond, Térébenthine montre la mort de la peinture face aux nouveaux arts modernes nés des évolutions technologiques : la vidéo, le montage, le numérique. La mort de l'image. La fin du temps long, de la construction, face à l'immédiateté, au temps court. En cela, le texte est extrêmement poétique et émouvant : on suit avec ferveur ces personnages qui luttent contre leur temps sans être réactionnaires, ces jeunes femmes et hommes qui ne veulent pas devenir artistes mais le sont, pas par choix mais par obligation ontologique. Certes, le personnage de Luc est un peu caricatural, celui de l'artiste tourmenté, intéressé par rien d'autre que ses toiles, indifférent au monde.
J'ai adoré suivre ces personnages anachroniques, ces artistes fidèles à eux-mêmes face à la mode, la tendance, le paradigme dominant, mais aussi face au marché de l'art et au champ artistique qui proclame haut et forme la mort de l'image et de la peinture pour finalement porter aux nues un peintre suicidé 20 ans après, clamant qu'il était visionnaire et précurseur.
J'ai en revanche de sérieuses réserves sur le style. Le début du roman m'a fait hausser les sourcils plusieurs fois, je n'avais jamais lu Carole Fives auparavant donc je ne suis pas familier de son écriture. Certaines phrases m'ont fait bondir, mais c'est l'abus de points de suspension dans les dialogues comme pour souligner le désœuvrement oral et linguistique des jeunes qui m'a sérieusement agacé. Passées les 50 premières pages, c'est tout bon, juste le temps de s'habituer à la narration à la deuxième personne et d'ignorer les points de suspension. C'est peu cher payé pour un très beau roman sur le temps qui passe et la mort de l'image.