China Mieville, dont une bonne partie de la production figure dans ma liste de roman à lire, n’est pas un romancier facile. Son passé d’ethnologue le prédispose à l’écriture de roman aux structures de sociétés fictives complexes. J’y vois un peu du Christopher Priest du Monde Inverti dans la création d’univers tordus mais cohérents.
C’est sur un socle vertigineux qui repose « The City and the City ». Où comment deux villes peuvent se trouver sur la même géographie sans n'avoir plus de contact qu'une frontière traditionnelle. Deux villes où les habitants dès leur plus jeune âge apprennent à ne pas voir leurs voisins, les véhicules qu'ils conduisent, les bâtiments qu'ils habitent. Ces deux villes, Besźel et Ul Qoma possèdent des différences physiques et sociétales fortes. Mieville nous fait ressentir Besźel comme une ville européenne plutôt de l’Est sur le déclin autant économique que sur le plan du son rayonnement, un mélange entre Budapest et Berlin dans mon esprit. Alors qu’Ul Qoma semble plus orientale et en plein expansion et m’a fait penser à Istanbul. Les systèmes politiques sont eux aussi très différents entre démocratie fatiguée et état policier.
Le respect des règles de séparation est surveillé et garanti par les membres de « Breach », sorte de police secrète capable de naviguer entre les deux cités pour une cohabitation jusque là respectée. Chacune des incursions des autochtones d’une ville à l’autre est sévèrement punie par Breach, les touristes et visiteurs étrangers ayant failli à leur entrainement sont expulsés.
Dans ce cadre tourmenté, l’inspecteur Borlù de la police de Besźel se voit attribuer une affaire d’homicide qui semble somme toute banale. Une étudiante historienne originaire du Canada est retrouvée morte à Besźel, mais plusieurs éléments laissent à penser que le crime est un flagrant délit de breach, pourquoi l’affaire n’est-elle pas transférée à cette police inter-citées aux pouvoirs si grands ? Tout en utilisant comme environnement les caractéristiques très originales issues des règles de cohabitation des cités, le roman se présente comme un polar parfaitement classique à ceci près que l'enquête mènera le héros dans les deux villes ce qui en décuple l’intérêt.
Mieville se garde bien de faire de grands exposés sur la construction du monde et c’est au travers des réflexions naturelles de Borlù que le lecteur comprend petit à petit comment fonctionne la cohabitation et quelles en sont les limites que tous passent sous silence. L’auteur nous renseigne progressivement sur les groupes rivaux et les intérêts des différents protagonistes qui sont nécessaires à l’histoire. Une telle complexité, cohérente, dans un roman finalement assez court nous fait de nouveau la démonstration de la virtuosité de China Mieville.
A titre personnel, je fus bien présomptueux de vouloir lire ce roman en anglais, Mieville possède un style complexe et très touffu qui nécessite un solide vocabulaire ou des allers-retours de traduction bien trop fréquents pour moi.
Quand un excellent romancier exploite une excellente idée parfaitement cela donne un excellent roman. 9/10