Titus n'aimait pas Bérénice. Ou au contraire l'aimait-il? La réponse n'a somme toute guère d'importance au regard du propos du roman. Loin de nous conter la fin tragique d'une passion, traitée en quelques pages acides, Nathalie Azoulai nous livre une somptueuse biographie de Racine, sans nul doute l'un des auteurs les plus emblématiques de la langue française voire de toute la littérature au même titre que Shakespeare pour ne citer que lui.
Elle évoque son enfance au sein de l'abbaye de Port-Royal, son éducation exemplaire mais rude, bridée par les carcans des idéaux jansénistes. Dès son plus jeune âge transparaissent son génie, ses talents pour la poésie et son amour inconditionnel des langues.
Puis, à la faveur de son installation à Paris, on découvre un Racine épris de gloire et de reconnaissance, qui expérimente l'atmosphère mondaine des Salons et les plaisirs de la chair. C'est aussi l'éclosion du dramaturge à travers l'écriture de ses premières tragédies.
Le lecteur suit ainsi sa fulgurante ascension, son amour inconditionnel pour le roi dont il servira les desseins encomiastiques, et le dilemme qui l'agitera toute sa vie à savoir le choix entre la vie parisienne et sa frénésie ou la rigueur de Port-Royal, entre le roi et Dieu, entre la poésie et la prière.
Un ouvrage merveilleux servi par une langue magistrale empreinte de poésie. Un coup de coeur.
Extrait:
Au cinquième acte, il est prêt à lui pardonner le retard que ses perpétuels questionnements leur ont fait prendre car elle est magistrale. Elle réussit à donner au retrait de Bérénice le naturel et la gravité qu'il y a mis. Les vers qu'elle énonce vibrent de tous ceux qu'elle retient comme des larmes. Je l'aime, je le fuis. Titus m'aime, il me quitte. Jean a l'impression qu'au pied de ses mots en grouillent d'autres, perclus de mouvements minuscules et erratiques qui viennent cogner contre ses hémistiches et dont elle rend chaque coup. Elle sait dire les ellipses, les paradoxes silencieux, rendre l'épaisseur des blocs de pierre contre lesquels vient se fendre le coeur.