Qu'est-ce qui peut bien vous pousser à ouvrir un livre ?
Une infinité de bonnes raisons très certainement, et aussi quelques mauvaises. Au hasard :
- L'orgueil ( J'ai fini Ulysse en 72 heures)
- La paresse (80 pages en corps 18)
- L'envie (attends un peu de voir ma critique de la Métaphysique des Mœurs)

Dans mon cas, dans celui de Tropique du Cancer, c'était la luxure.
C'est la luxure qui m'a dit d'aller à pied à la Fnac pour acheter le bouquin, la luxure qui me l'a fait ouvrir sur le chemin du retour, et c'est à cause de cette fourbe que j'ai failli finir écrasée par une auto avenue Montaigne, toute occupée que j'étais à me plonger le plus vite possible dans ce SOMMET DE LA LITTERATURE EROTIQUE.

Franchement je serais curieuse de savoir combien de lecteurs le livre a glané grâce à sa réputation sulfureuse, combien d'innocents attirés par la chose comme des mouches par un abricot trop mûr.
Et puis alors combien de déceptions, de types envoyant valser le truc à la cinquantième page, fatigués d'attendre la scène hot digne de ce nom et fatigués des divagations à base de vers de terre, trous béants et grattages furieux qu'Henry nous balance toutes les dix pages.

Autant le dire, Tropique du Cancer ne vous apprendra rien de l'aspect pratique du sexe, sauf si vous avez douze ans et demi, et encore. Laissez tomber.
On peut régler la question comme ça : soit vous avez lu Sade, et vous savez déjà tout ce qu'on peut savoir. Soit vous ne l'avez pas lu, lisez-le.

Obscénité il y a, et il n'y a que ça en vérité, mais elle est ailleurs, elle est partout ailleurs.
Obscénité de la fascination pour la chaussette sale et la rognure d'ongle, obscénité de la facilité avec laquelle Miller sombre dans le dégoût de lui-même et de l'autre en général, obscénité de ses visions gargantuesques et grotesques, boulimies qui mangent le monde et le rendent - c'est lui qui le dit - « comme une insulte sans fin, un crachat à la face de l'art ».

Tropique du Cancer est cette chose : un livre qui vous fascine page 1, vous insupporte page 2, et ainsi de suite jusqu'à la fin.
Je déteste ses fanfaronnades trop trash pour ne pas être de circonstance, sa naïveté parfois un peu crétine type «oui je me roule dans la fange mais j'ai un fond bien sain de gars des plaines pas comme ces petits-bourgeois putréfiés de français », la monotonie de sa démesure.

J'aime sa lucidité sans merci face à tout ce que je viens de citer plus haut, les images fulgurantes qui creusent certaines de ses pages d'abymes sans fond, sa description de Dijon qui m'a détournée à vie de la moutarde.

Tropique du Cancer est une œuvre aux défauts poignants et aux qualités écoeurantes, comme les dizaines de grues trop maquillées et au charme édenté qui y pullulent.
Mais comme sur elles on y respire l'odeur âcre et fleurie du monde, ce qui constitue une raison suffisante pour passer à la Fnac.
Olympia
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le 2 juil. 2012

Modifiée

le 23 août 2012

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Olympia

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