Il en est des œuvres complexes, rebutantes, difficiles à critiquer, mais Ulysse tient sans doute la palme dans ce domaine. Roman au long cours dans sa construction (sept années d'écriture il me semble), véritable expérience littéraire tant dans la forme que dans le fond, le pavé de Joyce ressemble parfois à une épreuve tant il est ardu à lire et à comprendre.
Bien sûr on pourrait le résumer basiquement à la déambulation d'un personnage, Léopold Bloom, même si Stephen à droit à trois chapitres avant lui et que sa femme Molly clôt le récit ; prétexte à des rencontres, des réflexions, des dialogues, des souvenirs, des pensées, des rêves, qui permettent à l'auteur entre autres éléments autobiographiques de disserter sur l'Irlande, les Juifs , la société, la religion, le sexe, le mariage, les relations humaines...
Rien d'extraordinaire dans le sens où c'est ce que l'on trouve déjà chez Proust dans un autre style.
Mais le style, on y vient, est quant à lui autrement plus déroutant ! Dans sa volonté de faire vivre à ses personnages des épisodes de l'Odyssée, Joyce choisit de découper en dix huit chapitres tous écrits de manière différente son roman. On trouve ainsi un chapitre écrit comme une pièce de théâtre avec dialogues et didascalies, un autre sous forme de monologue intérieur, un autre est une conversation autour de la psychologie de Shakespeare dans ses œuvres, un autre est un catéchisme mathématique quand d'autres sont de la narration plus traditionnelle.
Enfin traditionnel est vite dit, car en ce qui concerne Ulysse rien n'est plus éloigné de la tradition que chaque ligne voir chaque mot du récit. Entre les auto références (on parlera d'ailleurs plutôt de réminiscences), les références à la littérature, au théâtre, à la poésie, à la musique, aux comptines et chants populaires, à la publicité, à la bible, il y a tant d'influences, d'emprunts, de références explicites et implicites que cela devient difficile d'y voir clair sans notes et notices.
Ce côté expérimental, audacieux, recherché jusqu'à l'extrême, se retrouve aussi dans l'écriture. On sent que Ulysse est écrit comme une suite de pensées dans la tête de personnages avec ce que cela implique de confusion, d'associations d'idées, de mots accolés les uns aux autres comme des mots valises, parfois de gloubi goulba et même d'hallucination pour tout un chapitre.
C'est disons-le parfois illisible, à se dégouter d'un chapitre (celui à l'hôpital par exemple que j'ai failli sauter tellement je ne comprenais plus rien et n'arrivai même pas à lire ces phrases sans aucun sens)... et puis l'on se retrouve rattraper par la manche avec un chapitre plus intéressant et plus facile à appréhender.
Cela demande beaucoup d'efforts de lire Ulysse et l'on qu'est peu souvent récompensé, trop peu à mon goût. J'ai parfois lu un chapitre en entier sans m'arrêter mais seulement trois ou quatre fois sur l'ensemble du récit. Et même si j'ai lu le tout assez vite malgré les souffrances parfois à me défaire de cette impression de lire des pans entiers sans rien comprendre au but recherché où même au sens des mots et des phrases, je dois avouer que je mes suis forcé par pure volonté de terminer ce qu'on peut vraiment qualifier d'épreuve.
Je ne suis pas sûr de jamais relire Ulysse. Il est difficile de critiquer et encore plus de noter un tel roman. Pour ma part je ne me suis que rarement passionné pour ma lecture... pourtant j'y suis revenu tous les jours et j'ai parfois souri, parfois lu avec délectation. Expérimental jusque dans les sensations de lecture, décidément.