Gracq est un orfèvre de la langue française et un maître incontesté de la finesse et de la nuance, aussi bien formelles que sensuelles. Chaque phrase est un délice qui se mérite, un raffinement. La lecture de Gracq ressemble parfois à un plaisir aristocratique non dénué d'une forme de distinction : l'apprécier, c'est forcément faire partie d'une élite. On lui aperçoit déjà, au travers des taillis d'Un balcon en forêt, les premiers signes d'une décadence.
Un balcon en forêt suit des prémisses similaires au Rivage des Syrtes : un héros assez jeune prend ses fonctions au sein d'un avant-poste sur la première ligne somnolente d'une guerre lointaine et théorique. L'attente et la contemplation le feront oublier la réalité du conflit, du moins jusqu'au rattrapage final.
J'ai lu dans d'autres critiques que Gracq décrivait merveilleusement bien la forêt. Je n'ai pas du tout eu cette impression : ce qui constitute la forêt (ses plantes, ses animaux, ses odeurs, ses couleurs) est à peine écrit, ou plutôt réduit à un étroit faisceau sensoriel : des éclats de lumière, essentiellement, et le bruit qui parviennent à travers elle (encore que ces bruits soient en fait ceux de la guerre).
Ni la forêt ni la guerre cependant n'intéressent Gracq - trop familières peut-être. Ce balcon ne donne que sur une attente et un languissement, une perspective sans fuite, une mission sans objet. Ou plutôt, un unique objet : la jeune Mona, celui d'une amourette pastorale et mièvre (je renvoie sur ce point à l'excellente critique d'Eggdoll).
Après avoir lu (et beaucoup aimé) le Rivage, je dois avouer n'être pas sûr de ce qu'Un balcon en forêt apporte au moulin de Gracq qui n'ait pas déjà été traité dans le précédent. J'aurais compris si le Balcon avait été écrit avant le Rivage, qui semble étendre et enrichir le premier, mais l'inverse vraiment m'interroge.