Le sang des nains
D’ordinaire, c’étaient les nains qui le faisaient revenir, revenir au cirque, et à l’Inde. Le sentiment de quitter Bombay « pour la dernière fois » lui était familier ; presque chaque fois que le docteur quittait l’Inde, il formait le vœu de n’y plus jamais revenir. Et puis les années passaient, rarement plus de quatre ou cinq, en règle générale, et il se retrouvait dans un vol long-courrier au départ de Toronto. Certes, il était né à Bombay, mais cela n’expliquait rien, du moins s’il fallait l’en croire. Son père et sa mère étaient morts tous les deux ; sa sœur vivait à Londres, son frère à Zurich. Sa femme était autrichienne, leurs enfants vivaient les uns en Angleterre, les autres au Canada ; aucun ne voulait vivre en Inde, ils s’y rendaient même rarement, et d’ailleurs, aucun d’entre eux n’y était né. Mais le docteur, lui, était voué à retourner à Bombay, encore et toujours, sinon à jamais – du moins tant qu’il y aurait des nains au cirque.
Les nains achondroplases constituent la majorité des clowns de cirque en Inde ; on les appelle des lilliputiens de cirque, mais ce ne sont pas des lilliputiens, ce sont des nains. L’achondroplasie est le type le plus répandu de nanisme s’accompagnant d’atrophie des membres. Un nain achondroplase peut naître chez des parents normaux, mais ses enfants auront, eux, cinquante pour cent de risques d’être nains. Ce type de nanisme est le plus souvent le résultat d’un phénomène génétique rare, d’une mutation spontanée, qui devient alors un caractère dominant chez les enfants du nain. Personne n’en a découvert le marqueur –mais il faut avouer que les grands généticiens de notre temps ne se sont pas évertués à le chercher.