Deuxième roman de Thibault de Montaigu, publié en 2007 (quatre ans après « Les anges brûlent », six ans avant « Zanzibar »), « Un jeune homme triste » met en scène Emmanuel et Camille, vingt-cinq ans, partis profiter de la mer à Deauville le temps d'un week-end. Qui est ce jeune homme triste dont nous parle le titre ? Emmanuel, écrivaillon précaire jouissant comme un enfant de son humour grinçant et impulsif ? Arnaud, abruti notoire et friqué qui a des vues sur sa petite amie ? A moins que ce ne soit une jeune femme, cette Camille au caractère changeant, réduite à un rôle de faire-valoir auprès de son amie anglaise jet-setteuse, laquelle contrariera les plans de tranquillité d'Emmanuel pour ces deux jours à la mer. On aurait tort de sous-estimer le bouquin sur la foi de son pitch, pas spécialement original, ou même sur celle de sa longueur (deux petites heures suffiront pour le terminer). C'est un roman indéniablement réussi, mélancolique, bourré d'humour aussi, concentré sur la description d'instantanés, privilégiant un style aéré et simple, riche de dialogues sonnant très juste. On suit le couple dans l'intimité, puis on embraye sur un dîner entre amis, une soirée au casino et des paris aux courses hippiques. Objectif d'Emmanuel : consolider sa liaison avec Camille et prouver qu'il peut réussir.
Réussir quoi, comment ? L'auteur restera très flou sur les envies de ses personnages, qui semblent ne pas se connaître mais que le lecteur lui-même a l'impression d'avoir toujours connu. Emmanuel, le narrateur, ne se départ de son humour cassant (et réjouissant) que pour se demander ce qu'une telle fille fait à ses côtés. Par petites touches, ces deux jours à Deauville fissurent les certitudes du couple, très attachant dans sa banalité mais aussi dans sa fébrilité : dans « Un jeune homme triste », aucun personnage ne sait vraiment ce qu'il fait, le week-end progresse à coups de SMS ou de cris de types ivres. Entre deux fêtes où Emmanuel s'emmerde et jalouse l'attention qu'on porte à son amie, Thibault de Montaigu le balance dans un magasin de fringues ou au volant d'une vieille voiture, protégeant avec une possessivité grandissante ses rapports intimes avec cette Camille solaire et boudeuse. C'est un type un peu crétin, pas méchant, parfois même classe ou héroïque, qui dès qu'il surprend un regard triste de sa partenaire s'empresse de se noyer dans un verre de champagne ou, à défaut, de haïr la terre entière en commençant par lui-même. Tout cela n'a rien d'original mais l'entreprise est menée à son terme, cohérente, efficace, sensible sans être niaise, grinçante mais sans excès. On termine ce week-end à Deauville avec un goût d'embruns sur la langue et la rumeur des machines à sous aux oreilles. Et, bien sûr, avec cette fameuse tristesse, un peu benête mais agréable, sans réponse à cette question qui pourtant semblait gouverner le récit : Emmanuel et Camille, ils se séparent ou pas ? En fait, semble-t-il, on s'en fout. Bien vu.
« Evidemment, j'ai évité toute remarque. Je n'ai insulté aucune mère ni explicité aucun bas instinct. Surtout, je me suis retenu de jurer mes grands dieux que j'allais la vendre ou la promettre à la casse. Non. J'ai préféré préserver Camille et cette fragile paix que nous venions de sceller par nos longs baisers. Lui ai tout de même demandé de sortir pour aider à pousser. Ce n'était pas la première fois que pareille mésaventure survenait et, depuis le temps, Camille avait pris la main. Il convenait seulement de hurler de temps à autre pour qu'elle s'active, mais au final, je trouvais qu'elle se débrouillait plutôt bien.
─ Allez, encore un effort, criai-je par la vitre tandis que la Cox avançait péniblement et que Camille s'échinait derrière.
─ Et pourquoi ce n'est pas toi qui pousses ?
─ Parce qu'il faut des mains de fée. Et puis, elle t'adore.
─ Mon œil.
─ Tu ne saurais pas la démarrer.
─ Mon cul.
─ Et puis, ça te fait les jambes, tiens. »
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.