Une femme à Berlin traîne dans ma bibliothèque depuis plus d’un an et c’est seulement il y a quelques jours que je me suis sentie enfin prête à le lire.
Si j’ai remis la lecture de ce livre à plus tard, c’est parce qu’on sait dès la quatrième de couverture que la lecture sera difficile.
Donc je pensais que j’allais devoir lire par morceau, le digérer progressivement. Mais je l’ai dévoré d’une traite.
De l’Allemagne en 1945, j’avais une vague image de la sauvagerie de la fin de la guerre où le peuple bourreau d’Europe devient victime. L’idée c’est : bien fait pour eux.
Sauf que l’autrice nous plonge dès le départ dans l’urgence, dans l’attente. Elle ne nomme jamais son angoisse, elle ne dit pas sa peur.
Ses émotions, ont les sent en bordures des phrases, au contour de ces trois mois qu’elle traverse et retranscrit en entier sur le papier.
Elle décrit la violence des Russes qui s’installent dans son quartier pendant ces quelques semaines, la lâcheté de ses compatriotes, l’impuissance des femmes.
Aucun acte d’héroïsme, de résistance dans ce livre.
Et les semaines qui suivent les femmes qui demandent entre elles « Et toi, combien de fois? ».
C’est le récit de comment une femme tient quand le pire est là. C’est le récit de sa survie à elle, tenir jusqu’à l’autre bout de ces 3 mois. Pour elle, le seul moyen est de tout jeter sur le papier.
Et sa voix est forte, je suis immergée dès la première ligne.
Ce qui m’a le plus surprise, c’est la modernité du ton de la narratrice. J’ai imaginé que si je rencontrais cette femme aujourd’hui, une familiarité s’établirait rapidement. J’avais supposé qu’une femme vivant à Berlin pendant les années de guerre défendrait des idées xénophobes et rétrogrades.
Mais non. Sans faire partie de la résistance, on comprend qu’elle fait partie de ce « corps mou » de la société. On devine une sensibilité plutôt à gauche, qu’elle est issue d’une culture européenne et cosmopolite.
Aussi, c’est une femme de plus de 30 ans, vivant seule depuis plusieurs années dans une grande ville, et elle n’est pas une exception ou une paria. Les Russes sont d’ailleurs très surpris qu’autant de femmes n’aient ni enfant ni mari.
Deux éléments principaux (en dehors des événements qu’elle traverse) creuse l’écart entre elle et moi.
La première ce sont les considérations sur le genre. Elle constate par exemple avec dépit que la guerre a dévirilisé les hommes allemands. La soumission a ceux-ci est aussi bien intégrée.
La deuxième c’est que la défaite de l’Allemagne et l’humiliation du peuple est vécue personnellement. Ses réflexions sur les viols qu’elle a subi côtoient avec presque autant de douleur la prise de conscience lors de la découverte des camps d’extermination en 1945 et l’occupation de l’Allemagne par les alliés.
L’humiliation, la culpabilité qu’elle ressent montre à quel point la conscience d’appartenance à un peuple était profondément ancrée dans les individus. Au point d’assumer intimement les conséquences des décisions prises par un gouvernement totalitaire et xénophobe dont elle ne partage pourtant pas l’idéologie.
Une femme à Berlin oblige à regarder les horreurs d’un angle mort de l’Histoire.
Mais j’en retiens surtout la détermination de cette femme. Malgré tout ce qu’elle subit,il n’y a pas de craquement dans sa personnalité. Elle est abîmée, transformée mais pas dépossédée d’elle-même. Son journal agit comme une sauvegarde de sa personnalité et de son humanité. Elle a trouvé un moyen et grâce à ça, elle va vivre.