Qui peut en parler le mieux, après tout ?
« C’est d’une pierre qu’est né ce roman... une pierre mal taillée sous ma main, un soir de Mayenne et de pluie. Une pierre d’angle de mur, à hauteur de bras tendu... Je crois que tout est né d’une maison de bourg. Une bâtisse lourde et basse, de ces pierres fatiguées... Je crois que tout est né du vent. Un vent d’ouest, un vent d’automne venu de loin, plein d’embruns et de sel, un vent ... à s’en venir dans les rues du village comme un vieux chat blessé. Je crois que tout est né du village. Un village de Mayenne. Un village sans nom. Un village peu importe, avec sa rue droite, ses odeurs de labour, son silence du soir, son bar... Je crois que tout est né du bar. Un bar paysan, un bar ouvrier, un café d’hommes. Un café de silence et d’habitudes prises. De journal parcouru... de mains serrées. De verre servi trop plein sur un simple regard. Je crois que tout est né d’un regard. Le regard du patron qui observe la rue... la partie de cartes qui se murmure au fond, l’étagère à verres et le buste en plâtre d’un lutteur antique. Je crois que tout est né de cette statuette, ce Milon de Crotone, chef de guerre et athlète...qui avait pour lui la force et le respect. Je crois que tout est né du respect. Dans ce village, dans ce café, sous ce vent d’ouest tout chahuté de pluie, voici quelques hommes et aussi quelques femmes, qui tous ont en commun une vieille maison de bourg. Qui ont tous en commun le couple qui l’habite. Je crois que tout est né d’un couple. Un couple ancien, un couple en crépuscule... les yeux de l’un dans le coeur de l’autre, attentifs, respectueux, droits et dignes. Je crois que tout est né de la droiture et de la dignité... Souvent je me suis demandé où vont les personnages quand finit un roman. Cette fois, je leur ai demandé d’où ils venaient avant de commencer. C’est comme ça que je les ai choisis. Un à un, j’ai cherché à savoir qui ils étaient... Je crois que tout est né de la fidélité. Et il a fallu des heures, des nuits, des mois pour que personne ne lève plus les yeux à mon approche... Il m’a fallu tout ce temps de respect pour qu’un jour ils me parlent de ce couple amoureux... Et qu’ils racontent leur promesse... Je crois que tout est né d’une promesse... la parole donnée pour retarder le deuil. Parce que tout est né de ce deuil, du refus de la mort. De la peur...qu’elle les arrache aux pierres de la maison du bourg. Je crois bien que c’est d’une pierre qu’est né ce roman. » Sorj Chalandon
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