Hanta est un ouvrier qui travaille dans une presse depuis 35 ans : en appuyant inlassablement sur le bouton vert puis sur le bouton rouge, il fabrique des boules de papier avec des chefs-d'oeuvre de la littérature destinés au pilon par ordre de ce régime soviétique qui tente de tuer toute velléité de réflexion dans l'oeuf. Mais cet ouvrier qui trime, qui rattrape le temps qu'il a perdu sur ses jours de congé est l'être le plus libre que l'on puisse concevoir. Car il ralentit volontairement son rendement pour dissimuler des livres dans ses boules de papier, créant des oeuvres d'art camouflées au nez et à la barbe des autorités.
Pour que l'on comprenne bien en quoi consiste tout le sordide de son activité, l'auteur tchèque Hrabal ne nous épargne rien, ni ses histoires d'amour aux fins tragiquement scatologiques ni ses combats valeureux contre les rats d'égout qui envahissent sa cave, ni les livres qui menacent d'engloutir notre héros pendant son sommeil tant il entasse chez lui partout où il peut chaque jour un peu plus de livres philosophiques : ainsi, "cette brute de Hegel" côtoie volontiers Kant dans sa cave tandis que Schopenhauer, ce génie suicidaire, ne se plaint pas de la compagnie écrasante de Nietzsche...
Ce court texte, traduit en 1983, nous dresse le portrait kafkaïen d'un homme qui entend vivre par les livres, pour qui le salut passe par le sauvetage de tonnes de papier arrachées à la vigilance des bourreaux, et qui souhaite mourir par eux, pourvu que leurs mots continuent de vivre en lui... Magnifique hommage à la littérature, et la création artistique et à la liberté de penser.