Avec Vent d’Est, Vent d’Ouest, Pearl Buck entame une série de romans situés en Chine. Née Américaine en 1892, elle a séjourné en Chine dès l’âge de trois ans, d’abord avec ses parents missionnaires, puis avec son époux ingénieur. Si elle a appris le mandarin avant l’anglais, elle a fait ses études aux États-Unis où elle retourne vivre en 1933. Toute son œuvre (nombreux romans, mais pas que) est en anglais, y compris Vent d’Est, Vent d’Ouest paru avant son retour au pays.
Imprégnée par ses observations faites en Chine, Pearl Buck écrit en Américaine ayant l’expérience de la vie aussi bien en Chine qu’en Amérique, à une période (années 1920) où, quand elles se côtoyaient, les deux populations ne se comprenaient pas. Ici, elle met en scène ce choc des cultures dans une famille chinoise très marquée par les traditions, mais dont les membres ont l’occasion d’aller aux États-Unis ou plus simplement de rencontrer des personnes imprégnées par tout ce qu’ils ont vu lors de leurs séjours là-bas. Cet aspect démonstratif passe rapidement au second plan, tant Pearl Buck captive par les circonstances qu’elle développe pour ses personnages dont les caractères se révèlent.
Kwei-Lan
Cette jeune femme de dix-sept ans, qui assure la narration, vient d’épouser un homme à qui elle était promise depuis sa naissance. Or, elle ne l’avait jamais vu et, bien entendu, elle n’avait connu aucun autre homme avant lui. Le souci, c’est qu’il ne la trouve pas belle ! Pourtant, elle se comporte exactement comme on le lui a enseigné depuis son plus jeune âge. Mais ce que la famille de Kwei-Lan avait négligé, c’est que son futur mari avait passé douze ans en Amérique pour étudier la médecine. Tout ce qu’il a vu et appris l’a marqué (au même titre que tout ce qu’a vécu Pearl Buck en Chine !) et on peut même se demander pourquoi il accepte ce mariage. C’est probablement sa seule concession pour pouvoir vivre selon ses aspirations. Toujours est-il qu’il propose à Kwei-Lan une cohabitation pacifique et amicale, sans qu’il soit question de consommer le mariage. Pour Kwei-Lan, c’est le ciel qui lui tombe sur la tête, elle qui se réjouissait de son statut de Première Épouse, avec de futurs enfants promis à un beau destin. Il faut dire que sa famille évolue dans un milieu relativement privilégié, puisque son père peut entretenir plusieurs concubines (cela va jusqu’à la Quatrième Épouse) et leurs enfants, ainsi que des domestiques.
Les femmes dans la société chinoise
Cette situation de base n’est quasiment qu’un prétexte pour explorer en profondeur la complexité des relations entre deux peuples qui restent dans l’incompréhension l’un de l’autre sur bien des points. Ainsi, la simple signification d’une couleur (le blanc), symbole de pureté et d’innocence pour les occidentaux, du deuil pour les orientaux, entraîne des confusions, voire des frictions. Les Chinois sont marqués par des siècles de traditions. Exemple typique avec les filles qui grandissent avec les pieds bandés jusqu’à en souffrir physiquement, pour qu’ils restent aussi petits que possible. Aussi, le respect que les Chinoises « doivent » aux hommes se retrouve dans la façon qu’elles ont de les considérer selon leur position et sans utiliser de prénom (manière trop familière). L’éducation est axée sur le respect de ces traditions séculaires et Kwei-Lan fait sentir qu’elle ne voit pas pourquoi on pourrait imaginer autre chose. Il faut la confrontation avec son mari pour qu’elle commence à réaliser que le monde ne se limite pas à la Chine, malgré son appellation d’Empire du Milieu. Il faut dire qu’en tant que femme, Kwei-Lan n’est pas éduquée pour penser ! Très grande force du roman, il montre que Kwei-Lan a subi un véritable conditionnement dont elle ne prend conscience que progressivement grâce à son mari.
Le frère de Kwei-Lan
Son retour en Chine pourrait soulager Kwei-Lan. Mais il a lui-même séjourné plusieurs années en Amérique pour étudier et il rentre accompagné d’une américaine que Kwei-Lan a l’occasion d’observer, à défaut de pouvoir discuter avec elle. Comment son frère a-t-il pu épouser cette jeune femme, alors qu’une jeune Chinoise attend qu’il honore l’engagement que leurs deux familles avaient pris depuis longtemps ?
Pearl Buck
Elle s’y entend pour faire sentir le fossé qui sépare les deux cultures et surtout elle réussit à faire sentir énormément de choses en 200 pages environ. Son style qui vise essentiellement la simplicité rend son roman très accessible et vivant, ce qui ne l’empêche pas d’être riche de nombreux détails significatifs. Les descriptions font comprendre comment tout se passe dans une famille chinoise vivant selon les traditions. C’est même amusant de réaliser à-côté de quoi les Chinois passent en refusant le progressisme apporté par les Américains (Kwei-Lan apparaît assez naïve, finalement). Pearl Buck ne se gêne pas pour montrer que cela peut mener à de véritables drames. Ceci dit, elle ne fait pas non plus des Américains les détenteurs de la vérité absolue. D’ailleurs, même si elle ne le dit pas ouvertement, ils n’ont pas de leçon à donner vis-à-vis de l’esclavage, réalité que Pearl Buck n’esquive pas puisque le roman l’évoque à l’occasion.
Est-Ouest
Pearl Buck justifie donc magnifiquement son titre, avec un roman qui confronte deux points de vue assez antagonistes, celui de l’Est pour les Chinois puisque toute l’action se passe chez eux et celui de l’Ouest puisque la modernité vient d’Amérique. Comme l’ont remarqué les historiens et spécialistes, ce qu’elle décrit de la Chine est criant de vérité, au point qu’un lecteur non averti pourrait très bien attribuer ce roman à quelque grand écrivain chinois. On comprend donc pourquoi Pearl Buck a obtenu le prix Nobel de littérature dès 1938. Ajoutons que la majorité des vingt-et-un chapitres commence par une phrase où Kwei-Lan s’adresse à une personne qu’elle nomme sa sœur, seule apte à la comprendre. Or, rien ne vient finalement désigner cette personne. Je verrais bien quand même l’épouse de son frère, l’Américaine avec qui elle finit par avoir des échanges verbaux, car cette jeune femme mémorise bien tout ce qu’on lui explique, malgré une situation délicate qui finira par l’inciter à vouloir rentrer en Amérique, contrairement à ce qu’elle envisageait en épousant le frère de Kwei-Lan.
Critique parue initialement sur LeMagduCiné