Prix Nobel de littérature en 1938, Pearl Buck est une écrivaine américaine dont l’œuvre évoque essentiellement la Chine, pays où elle a passé son enfance avec ses parents, des missionnaires presbytériens, et où elle est revenue s’installer avec son mari dans les années 1910-1920. Même si Buck retourne vivre aux Etats-Unis en 1933 et y passe le reste de sa vie, cette expérience entre deux cultures lui donne un point de vue particulier qui lui permet, dans Vent d’est, vent d’ouest, d’explorer l’expérience inverse : celle d’une jeune chinoise qui voit la culture occidentale faire trembler les bases de la société aristocratique dans laquelle elle a grandi.
Deux séismes marquent l’entrée dans l’âge adulte de l’héroïne et narratrice de Vent d’est, vent d’ouest : d’abord son mariage, arrangé dès avant sa naissance, avec un homme fraîchement revenu des Etats-Unis où il a étudié la médecine ; puis, plus grave encore, l’annonce du mariage de son frère aîné avec une étrangère, rencontrée là aussi lors de ses études en Amérique. Dans les deux cas, les jeunes hommes reviennent de l’étranger décidés à défier l’ordre établi et les traditions qu’ils jugent dépassées, fût-ce au prix du rejet total de leur famille.
Pearl Buck rend avec finesse le trouble de sa jeune héroïne, dans un monologue adressé à une amie muette, cadre légèrement factice mais qui lui permet tout à la fois de fouiller l’âme de sa narratrice et de respecter une forme de réserve pudique propre à une jeune femme chinoise des années 20. Du choc créé par l’incitation de son mari à débander ses pieds, qu’elle a passé sa vie à comprimer pour les rendre plus petits, jusqu’à celui de voir son frère s’opposer frontalement à son père, un affront inexcusable, la narratrice va de surprise en surprise sans pour autant que Pearl Buck lui donne des airs d’oie blanche. Quand bien même c’est son mari qui, petit à petit, lui apprend tout de ce nouveau monde qui vient, elle s’étonne, réfléchit prend position : son agentivité reste limitée mais elle représente une voie du milieu, fine et empathique, qui cherche à réconcilier deux mondes.
C’est la belle réussite de Vent d’est, vent d’ouest : même s’il est difficile de se défaire de tout soupçon quant au regard que porte Buck sur la société chinoise (garde-t-elle certains préjugés d’occidentale sur cette « vieille Chine », malgré sa position particulière ? Son statut d’écrivaine culte en Chine peut néanmoins permettre de supposer que son point de vue est juste et dénué de caricature), elle réussit parfaitement à retourner notre regard et donne à voir la bizarrerie presque inquiétante des occidentaux et de leurs coutumes pour son héroïne, tout en conservant une belle confiance, sans doute un peu naïve, en l’âme humaine et en la capacité de ces deux mondes si différents de se fondre peu à peu l’un dans l’autre.