Vernon Subutex, c'est la fresque moderne sur une période de transition entre deux époques, deux mondes, deux sociétés. Le basculement entre l'époque où la boutique du disquaire était le pôle d'attraction du quartier, et le propriétaire, un héros populaire, et celle où il devient le ringard commercialisant un support musical désuet, dépassé. La transition entre l'époque d'une valeur positive, l'acceptation d'autrui, mise en avant, et celle progressive, insidieuse, du repli sur soi, des opinions xénophobes qui s'affichent, du populisme grandissant. Vernon Subutex, c'est ce lent basculement étrange, de la valeur" travail mise sur un piédestal, vers cette capacité à travailler via Internet, individuellement, pour des travaux parfois immoraux, comme l'art du dénigrement d'autrui sur les réseaux sociaux, activité lucrative. Vernon, c'est l'avènement du cynisme protecteur, souvent protection des êtres fragiles et perdus, envers tout et tous, envers l'amour, l'amitié, la beauté, l'argent le travail. Les traders utilisent la méthode Coué d'auto-suggestion pour tenter de se convaincre du bien fondé et de la normalité de leur opulence, pour étouffer leur propre conscience. Ils vantent les mérites de la sélection naturelle, et font semblant de trouver normal que seuls "les meilleurs" subsistent. Vernon, c'est l'inversion lente des vecteurs de liberté et d'épanouissement d'un modèle de société en bout de course. Ici, le personnage finalement le plus heureux , le plus épanoui, qui attire le plus de suffrage, est le clochard libre, qui vit dans le parc des Buttes-Chaumont, et anime les soirées des bars du parc avec sa science de la musique et ses connaissances d'ex disquaire, créant des ambiances quasi mystiques grâce à un sens de l'anticipation et du mariage des sons avec les vibrations d'une salle. Il redevient un héros populaire, une légende urbaine, du clodo artiste, nouvelle voie vers le bonheur. Ceci parce qu'il a franchement basculé et qu'il l'assume. Tous les autres personnages de la fresque, trentenaires bien sonnés, ont un pied dans les années 90, et un autre qui peine à prendre appui sur une époque moderne qui les dépasse. Ils choisissent, pour se donner une consistance, masquer leur détresse et leur perte de repères, un cynisme qui tient lieu de carapace. "Je suis revenu de tout" signifie en réalité "Je ne comprend plus rien au monde, aux valeurs, aux relations, je suis perdu". Vernon Subutex est une fresque unique, qui prend la forme d'un vrai faux polar et de la quête d'un secret, pour mieux dévoiler une galerie de personnages perdus. Celui de Vernon évoque Limonov, ou le Raskolinov de crime et châtiment, les pauvres hères de la littérature Russe, qui basculent dans l'horreur. Vernon Subutex, c'est une fresque Russe à la française.