Des histoires de gens alcoolisés, retranscrites d'une manière à la fois simple en apparence, sensée, expressive et drôle (et quand même triste aussi, forcément).
J'ai adoré la formulation, reflet de l'énonciation orale ; le rythme de ces "phrases" à virgules, sans points ;
les digressions, les apartés, les énumérations ;
les références culturelles : des auteurs, titres, œuvres, aphorismes parfois cités, d'autres fois juste devinables par de petits indices, car ce narrateur évoque les choses telles qu'elles lui reviennent en mémoire (c'est alors à nous, lecteurs, de faire le lien, et ça peut donc parfois nous échapper) ;
ces fils de pensées emmêlées, dû parfois à l'alcool, d'autres fois simplement à un esprit bouillonnant, qui fait des liens tout le temps, des insertions au cours d'une pensée principale, comme nous le faisons tous dans la réalité. Alain Mabanckou retranscrit tout ça, mais d'une manière parfaitement claire.
Mais surtout, cette manière d'écrire transmet parfaitement les ressentis, les émotions vacillantes, la colère par moments, la perdition souvent.
Et enfin, pour donner un aperçu et une justification de mon propos, je laisse la parole au principal concerné, le narrateur :
ce n'est qu'à ce prix que j'écrirais des choses qui ressembleraient à la vie, mais je les dirais avec des mots à moi, des mots tordus, des mots décousus, des mots sans queue ni tête, j'écrirais comme les mots me viendraient, je commencerais maladroitement et je finirais maladroitement comme j'avais commencé, je m'en foutrais de la raison pure, de la méthode, de la phonétique, de la prose (...) ce serait alors l'écriture ou la vie, c'est ça, et je voudrais surtout qu'en me lisant on dise « c'est quoi ce bazar, ce souk, ce cafouillis, ce conglomérat de barbarismes, cet empire des signes, ce bavardage, cette chute vers les bas-fonds des belles-lettres, c'est quoi ces caquètements de basse-cour, est-ce que c'est du sérieux ce truc, ça commence d'ailleurs par où, ça finit par où, bordel », et je répondrais avec malice « ce bazar c'est la vie, entrez donc dans ma caverne, y a de la pourriture, y a des déchets, c'est comme ça que je conçois la vie (...) »