« Verre cassé » est le surnom du narrateur. Il est engagé par « L’escargot entêté » le patron du bar « Le crédit a voyagé » pour écrire un roman, parce que, ancien enseignant, il aurait les capacités pour faire quelque chose de correct avec les anecdotes recueillies dans le bar, ainsi qu’en racontant certains épisodes de sa propre vie.
L’histoire se situe au Congo, pays d’origine de l’auteur. Autant dire que je ne suis pas du tout familier de la littérature africaine et que j’ai ouvert ce livre après avoir entendu parler de l’auteur par un ami, en me disant que je verrais bien, un peu alléché par une présentation laissant entendre que ce serait plutôt rigolo.
Si je m’étais arrêté à ma première impression, j’aurais pu laisser tomber après quelques pages. Mais, dès le deuxième chapitre, j’ai senti quelque chose d’inattendu qui m’a franchement accroché. L’auteur a beaucoup de verve et il s’amuse vraiment avec son lecteur. Il est noir et connaît bien les mentalités de son pays d’origine (il a probablement fait des études littéraires en France, et il enseigne désormais les littératures francophones à l’université du Michigan, rien que ça).
Il joue constamment avec les clichés que nous européens avons de la vie sur le continent africain. Mais il joue aussi de la façon dont ses compatriotes peuvent à l’occasion se comporter. En jouant sur les deux tableaux, Mabanckou se montre extrêmement fin. Ainsi, il écrit des chapitres parfois longs, avec des phrases à rallonge, en enchaînant les idées et actions sans laisser de vraie respiration, laissant entendre qu’il suit un rythme proprement africain. Aucun dialogue non plus. Et puis, si chaque chapitre et nouveau paragraphe commence avec un petit retrait classique, il ne met jamais la majuscule de circonstance. De même, à la fin de chaque paragraphe ou chapitre, il ne met jamais de point. Mais si on le remarque, on sent vite que cela n’a rien à voir avec l’ignorance qu’on pourrait imaginer à première vue. En effet, on réalise que Mabanckou a une culture d’envergure, et ce dans pas mal de domaines. Son texte est truffé de références à des œuvres littéraires, des films, des chansons, des slogans publicitaires, sociologiques ou politiques, etc. En fait, Mabanckou écrit avec un état d’esprit comparable à celui de Perec. Son roman est un jeu avec le lecteur. Un jeu qui donne une lecture très particulière, car assez rapidement, on comprend que d’intrigue à proprement parler, il n’y aura pas grand-chose. Le livre est plutôt une succession de scènes souvent truculentes, mais l’ensemble est assez décousu. Pourtant, on poursuit cette lecture en guettant toutes les astuces imaginées par l’auteur. Pour en donner une idée, le nom du bar est un condensé des deux titres phares de Céline « Mort à crédit » et « Le voyage au bout de la nuit » et le narrateur va raconter son histoire d’amour avec une femme … nommée Céline. On peut passer à côté de tout cela et s’amuser néanmoins de la fantaisie de la narration, parce que ça part dans tous les sens. Certaines expressions qui tombent un peu comme un cheveu sur la soupe sont étonnantes.
Un roman déroutant car volontairement décousu, qui permet au lecteur de mesurer les manques dans sa propre culture ! A certains moments je sentais que l’auteur utilisait des expressions venant de quelque part, mais j’étais incapable de les situer. Le roman est donc l’occasion de sonder tous les domaines dans lesquels la fantaisie de l’auteur s’exerce. Qu’on se rassure, il y en a pour tous les goûts. Certaines références sont déformées, etc.
Quant à l’histoire, cela tourne beaucoup autour de la vie sentimentale et intime des uns et des autres, des souvenirs d’enseignant (viré) du narrateur.
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